Shangaï, novembre 1990.
Le corps nu d’une femme de 31 ans, enfermé dans un sac de plastique noir, est découvert dans un canal. Chen, policier célibataire ( poète prometteur et publié ) mène l’enquête, flanqué de son adjoint Yu – son aîné, marié, heureux en ménage et un peu jaloux de son chef.
Au fil des investigations de Chen, et grâce au caviar retrouvé dans l’estomac de la jeune femme ( une cover girl ou/et une « héroïne rouge »? ) assassinée ( par strangulation ), les soupçons finissent par se porter sur… le riche fils d’un notable du PC chinois.
Bien sûr, Chen est membre du parti. Mais le dilemme se précise : les intérêts du Parti ne doivent-ils pas passer avant une vérité… gênante ?
Face à une hiérarchie hésitante et à des propositions alléchantes pour changer d’emploi, Chen s’interroge. En effet, le meilleur ami de Chen, Lu, un « Chinois d’outre-mer », terme désignant un individu louche sur le plan idéologique, lui propose de devenir son associé dans la restauration. Et puis Chen, qui s’est séparé à regret de Ling, qu’il aime encore, est très attiré par Wang, une jeune journaliste ( hélas mal mariée à un Japonais qui a quitté la Chine… ). D’autre part, ses succès littéraires grandissants le pousseraient plutôt vers la sortie…
Si ce polar chinois relate une enquête plutôt traditionnelle, le décor exotique et ses problèmes politiques en font un morceau de choix ! En effet, les années 90 marquent le renouveau de la politique chinoise : après les répressions de Tian'anmen, la Chine s’ouvre peu à peu au capitalisme et à l’économie de marché. Mais le Parti reste puissant.
D’autre part, ce roman nous promène des quartiers chauds de Shangaï à Canton… et ailleurs.
Et puis l’auteur truffe son récit de haltes bienvenues dans des restaurants ou dans des soirées festives, prétexte à nous livrer des recettes étonnantes ( omelette aux palourdes d’eau douce, boulettes de viande aux quatre bonheurs, anguille de rizière frite, tomates farcies aux crevettes décortiquées, riz aux huit trésors, soupe d’aileron de requin, tortue entière à la sauce brune et tofu farci à la chair de crabe, page 288 – qui dit mieux ? ).
Double mal déguisé de son héros Chen, Qiu nous livre aussi de larges extraits ( à caractère aussi moral que poétique ) de la littérature chinoise, Confucius en tête.
Aussi, ce récit relaté de façon simple, rapide et efficace captive son lecteur jusqu’au bout, en nous entraînant dans les problèmes socio-politiques de la fin du XXe siècle.
Auteur d’une thèse sur T.S. Eliot, Qiu sait de quoi il parle – même s’il a écrit son roman en anglais. Réfugié aux Etats-Unis ( il est vrai que son récit révèle et dénonce les variations idéologiques du régime post-maoïste ), il y est resté : ses parents ont subi, comme beaucoup d’autres, les conséquences de la révolution culturelle de 1966 – et l’ostracisme de ses fameux « gardes rouges »
Lu dans une version poche luxueuse et très kitsch, avec un papier blanc de haute qualité et… une couverture couleur, en plastique et en relief ! Un OVNI ? Sans doute, mais dont la résistance est à toute épreuve : l’ouvrage ( 500 pages, 10 euros ) peut être lu et relu sans souffrir !