Rappel : le 22 /11/63 est le jour où Lee Harvey Oswald a assassiné John Fitzgerad Kennedy.
En 2011, Jake Epping enseigne l’anglais à Lisbon Falls. Il a divorcé de son épouse Christy, une alcoolique invétérée. Il a été bouleversé par la confidence ( écrite : une rédaction ! ) de son élève Harry Dunning. Harry, débile léger, est la risée de la classe qui ignore que le père de ce garçon, autrefois, a assassiné sous ses yeux une partie de sa famille.
En outre, Jake découvre un jour que Al Templeton, le gérant de son fast food favori, utilise, au fond de son magasin… une faille spatio-temporelle ! Celle-ci transporte instantanément celui qui la franchit… à la date du 9 septembre 1958 à 11H58 !
Incrédule, Jake en fait lui-même l’expérience : le voyageur temporel peut alors rester dans le passé autant de temps qu’il le désire ( en le modifiant à son gré, eh eh… ) – sauf que dans ce passé,il continue à vieillir, bien entendu. Ah : le voyageur imprudent constate aussi :
qu’en revenant dans le présent, en 2011, seules deux minutes se sont écoulées.
que ce nouveau présent est différent en fonction de ce qu’il a modifié dans le passé.
qu’en refranchissant la porte temporelle ( au cas où le nouveau présent ne serait pas conforme à ce que le voyageur espérait ), on retrouve le monde dans son état initial, le 9 septembre juste avant midi.
Or, le propriétaire ( provisoire ) des lieux, Al Templeton, est vieux et malade. Et il confie à son plus fidèle client et ami, Jake, la tâche délicate qui l’a obsédé toute sa vie : empêcher Lee H. Oswald d’agir et sauver ainsi la vie du président Kennedy !
Séduit par le projet, Jake se projette donc dans le passé – d’abord, « pour voir », en essayant d’empêcher l’assassinat perpétré par le père de Harry Dunning. Hélas, s’il y parvient ( en partie ), il s’aperçoit que les conséquences en sont catastrophiques dans le nouveau présent !
Entêté, Jake effectue alors une nouvelle tentative, décidé à aller jusqu’au bout : 5 ans à patienter et à organiser minutieusement le sauvetage de Kennedy.
Bien sûr, il doit changer de nom. Trouver une nouvelle profession.
Et voilà que le nouveau Jake Epping, devenu George Amberson, se prend à son propre piège : il devient un enseignant expert, se passionne pour le théâtre, tombe amoureux – et s’attache à cette nouvelle vie ( séquence nostalgie ! ) qu’il maîtrise d’autant mieux qu’il connaît à l’avance la plupart des événements à venir.
Nota : à ce stade de l’action, le lecteur arrive à peine à la moitié du bouquin… page 500 !
Ce roman fleuve possède les qualités et les défauts de ce que le géant de la littérature populaire américaine livre à ses fans depuis quarante ans.
Les qualités ? Un style fluide, libre, agréable et diablement efficace. Une imagination débridée. Des rebondissements incessants avec une succession d’événements précipités, parfois au bord du vraisemblable. Un art consommé du suspense, une façon très personnelle de jongler avec la SF, le fantastique et un réalisme débridé.
Les défauts ? A mes yeux, une façon de livrer des détails parfois superflus, de noyer le lecteur dans les méandres d’une action qui pourrait être plus ramassée. – avec un fléchissement de l’action du côté de la page 600, Et aussi, et surtout, de plonger le lecteur dans un univers 100% United States: à chaque page, parfois dans chaque phrase, il est question ( en anglais dans le texte ) de chanteurs, de villes, de lieux, de rues, de magasins, de marques diverses ( chaussures, aliments, marques de boissons… ), de comiques, de présentateurs télé et d’autres héros nationaux que le lecteur français aura du mal à identifier. A moins qu’il n’ait en tête la liste des meilleurs quarterbacks ( dans les matches de football américains ) de la fin des années cinquante. Cette débauche finit par lasser ( ou irriter ? ). Mais je comprends qu’un lecteur américain du baby boom soit séduit par cette ambiance, et saisi d’une nostalgie que l’auteur sait parfaitement transmettre – y compris à un lecteur français patient, tolérant, et amateur de l’american way of life.
Mais la balance penche toujours du côté positif ; d’ailleurs, comment dire du mal d’un écrivain qui file des métaphores sur l’existence comme celles-ci, dignes d’une pièce de Shakespeare : « Le savons-nous tous secrètement ? Le monde est un mécanisme parfaitement équilibré d’appels et d’échos de couleur rouge qui se font passer pour un système d’engrenages et de roues dentées, une horlogerie de rêve carillonnant sous la vitre d’un mystère que nous appelons la vie. Et au-delà de la vitre ? Et tout autour d’elle ? Du chaos. Des tempêtes. Des hommes armés de marteaux. Des hommes armés de couteaux. Des hommes armés de fusils. Des femmes qui pervertissent ce qu’elles ne peuvent dominer et dénigrent ce qu’elles ne peuvent comprendre. Un univers d’horreur et de perte encerclant cette unique scène illuminée où dansent des mortels, comme un défi à l’obscurité. » ( pages763/764 ).
Stephen King, on le sait, a de nombreuses cordes à son arc : il manie avec autant d’aisance le fantastique ( voire le gore ) que le réalisme ( lisez sans attendre Dolores Claiborne ! ) et, ici, la SF : rarement un auteur aura conjugué avec autant de maestria le délicat thème du voyage dans le temps, catégorie : « aller dans le passé pour changer le présent. »
Ajoutons, pour ceux qui l’ignorent, que cet auteur est un démocrate convaincu.
Sans doute ce roman est-il une façon pour Stephen King de revenir sur une erreur de jeunesse : en 1968, il a voté pour le républicain Richard Nixon, persuadé qu’il mettrait fin à la guerre du Vietnam – un choix qu’il a regretté toute sa vie !
Euh… pas sûr que Kennedy aurait fait mieux.
Si vous n’avez pas encore lu Stephen King, lancez-vous dans 22/11/63.
Mais prévoyez quelques dizaines d’heures de lecture : malgré le suspense savamment entretenu, vous n’avalerez sans doute pas en 24 heures chrono les 1000 pages du roman.
Lu dans sa version poche, un superbe pavé à la couverture souple et à la reliure solide, un ouvrage qui tient dans la main – et qui tient la route