UN ÉTÉ AVEC MONTAIGNE, Antoine Compagnon, Editions des Equateurs

Honnêtement, avez-vous lu Les Essais de Montaigne ?

Comme la plupart des élèves, vous en avez sans doute étudié des extraits à l’aide du Lagarde et Michard – ou encore à l’Université.

C’est aussi mon cas.

J’avoue avoir été assez prétentieux, en classe de Propé, pour avoir acheté Montaigne en Pleiade et tenté de le lire de bout en bout.

À en juger par les notes que j’ai prises… je n’y suis pas parvenu !

À mon corps défendant, je dois révéler que c’était là une version en vieux français avec un appareil critique imposant et des notes presque aussi importantes que le texte de Montaigne !

Un été avec Montaigne, ce sont tout simplement des extraits choisis, traduits en français moderne et judicieusement commentés. Une façon simple, ludique et pédagogique de se familiariser avec un classique incontournable. Parce que Les Essais, tout le monde les connaît mais qui les a lus dans leur intégralité ?

Ecrivain et professeur au Collège de France, Antoine Compagnon a repris, par écrit, certaines de ses émissions ( diffusées pendant l’été 2012 sur France Inter ) consacrées à celui qui, pour la première fois dans l’histoire de notre littérature, a eu l’audace de se choisir comme sujet d’étude, et de livrer au lecteur des réflexions personnelles ( et parfois insolentes ) sur mille et un sujets : l’amitié, l’amour, la nature ( humaine ), les enfants, la guerre, le couple, l’autorité ( qu’il hait ! ) le sexe, le corps…

Bien sûr, avec ce petit essai de moins de 200 pages, l’auteur ne prétend pas à l’exhaustivité : c’est une promenade au moyen de passages choisis qu’il explicite, éclaire, explique et commente. Un superbe petit ouvrage de vulgarisation !

Et le lecteur a des surprises.

Celle, par exemple, de découvrir chez Montaigne de nombreux traits d’humour. Une critique évidente du colonialisme. La certitude que l’écriture est un remède ( « une façon de calmer l’angoisse, d’apprivoiser les démons » ) et la prise de conscience ( que je partage dans Virus LIV 3 ! ) que « la plupart des occasions des troubles du monde sont Grammairiennes » - à savoir que ( nous traduit Antoine Compagnon ) « procès et guerres, litiges privés et publics sont liés à des malentendus sur le sens des mots, jusqu’au conflit qui déchire catholiques et protestants. » Un conflit au cœur duquel se trouve Montaigne à la fin de ce XVIe siècle.

Conservateur, amoureux des voyages ( à cheval ! ), curieux de tout, Montaigne se révèle un esprit critique impitoyable. Rien n’échappe à son observation, au point qu’Antoine Compagnon s’interroge sur la religion intime de Montaigne : catholique et pratiquant, il considère avec objectivité et indulgence la religion réformée… il s’interroge sur Dieu et la foi et juge que « nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes ou périgourdins ou allemands » - bref, nous adoptons automatiquement la religion… de nos parents.

Si Montaigne n’était pas présent en décembre 1580 à la signature de La Paix des Amoureux ( qui a eu lieu… où je vis actuellement ! ), nul doute qu’il en fut l’un des acteurs.

Cet acte, le brouillon du futur Edit de Nantes ( 1598 ), était l’armistice ( établi par Henri de Navarre, Catherine de Médicis, le Duc de La Force et les plénipotentiaires catholiques et protestants ) qui affirmait le droit de pratiquer la religion de son choix.

Maire de Bordeaux, ami de nombreux protestants, Montaigne affiche sans fard des convictions que reprendront bien des penseurs et philosophes après lui. Comme : « La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute » ou la célèbre sentence : « Au plus élevé trône du monde, si ( = cependant ) ne sommes-nous assis, que sur notre cul. »

Comment ne pas se sentir proche de Montaigne ?

Je vis devant la route qu’il empruntait pour rendre visite, à Sarlat, à son ami La Boétie – un village sis à 30 kilomètres de sa fameuse « tour », rescapée du château de ses parents : un lieu mythique dont le sommet est la fameuse « librairie » de l’écrivain, l’endroit où il rédigeait ses essais. Là, en levant la tête, il pouvait lire, gravées au fer sur les poutres de châtaignier, les sentences grecques ou latines de ses auteurs préférés.

Ce lieu, on peut encore visiter. D’ailleurs, de gré ou de force, j’y entraîne celles et ceux qui prennent le risque de venir passer quelques jours chez moi !

Lu dans son unique version poche, un sobre volume jaune et noir au superbe papier épais.

CG

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