A propos du passé simple…

Le sujet est large et multiple.

Et le projet qui préconise l’enseignement du passé simple « réduit à la troisième personne du singulier et du pluriel » a provoqué en son temps une levée de bouclier.

Les faits sont là : le passé simple a disparu de la langue orale.

Comme a quasiment disparu de la langue écrite l’usage de l’imparfait du subjonctif.

S’en offusquer est inutile. Et sur le plan pratique, mieux vaut être efficace et tenter de faire maîtriser aux élèves ce qui est le plus accessible… et le plus courant.

En revanche, il devient indispensable d’aborder ces temps et ces modes parfois complexes si l’on veut lire ( comprendre et apprécier ) les textes classiques, Et là, on parvient à une scission dramatique : seule une partie des élèves y parviendra, pour des raisons diverses et souvent culturelles : milieu social, accès à la lecture dès l’enfance, aide à la maison, goût de l’effort…

Ici, l’enseignant se heurte à des difficultés qui, hélas, dépassent les instructions. Combien seront-ils à l’arrivée ( peut-être cinq cents sur trois mille ) ceux qui liront sans ricaner et sans effort :

Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort

Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.

En littérature jeunesse, il est devenu courant de raboter la langue, les mots ou expressions difficiles, les phrases longues et les « modes et temps compliqués ». Je me bats contre cette tendance, essayant d’imposer ici ou là un terme ou un mot jugé «  vieux ou plus très usité ». Parce que cette course à la simplification entraîne les auteurs ( s’ils veulent être publiés et lus ) à réduire de plus en plus leur vocabulaire et leurs ambitions littéraires. Ce qui n’est pas vraiment l’objectif – à mes yeux. Face à mes réticences, les directeurs/directrices littéraires ont des arguments de poids : « si vous laissez ça, le jeune lecteur va bloquer. Il risque de fermer le livre ! » Donc de ne plus en acheter un de la même collection. Ne prenons pas de risque !

Le résultat, c’est la quasi-obligation pour l’auteur ( sujet à l’autocensure plus que lui-même ne le croit, car au fond, il veut être publié et lu ! ) de préconiser le présent et l’usage du je, pour que le ( jeune ) lecteur accède facilement à l’usage des verbes et s’identifie plus facilement au héros. A noter que le passé composé a ses adeptes, parce que c’est le temps du passé à l’oral !

Dommage. Car il faudra bien aborder les textes plus anciens et la littérature classique quand le moment sera venu – même si pour certains, on le sait, il ne viendra pas, il ne viendra jamais… mais battons-nous pour que ce soit possible !

Non pas par goût réactionnaire de la tradition mais pour faire partager au plus grand nombre les textes qui sont le terreau, les racines de notre littérature.

Et pour ça, tous les moyens sont bons.

Y compris la parodie.

Il y a quarante ans, je n’hésitais pas, pour expliquer et commenter Le Cid, à citer le poème de Georges Fourest, alias Microphane Trapoussin. Dans la bouche de Chimène, la fameuse litote : Va, je ne te hais point ! devenait ( à part soi ) :

Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa !

Et comment ne pas conclure le douloureux dilemme de cette Minuts du vieux schnock ( « pas si simple, aujourd’hui, de faire passer le passé simple « ! ) sans citer in extenso la fameuse Complainte d’Alphonse Alllais, à la mode de Racine, avec son inoubliable finale à la mode de l’imparfait du subjonctif :

Oui, dès l’instant que je vous vis, 
Beauté féroce, vous me plûtes ; 
De l’amour qu’en vos yeux je pris, 
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ; 
Mais de quel air froid vous reçûtes 
Tous les soins que pour vous je pris ! 
En vain je priai, je gémis : 
Dans votre dureté vous sûtes 
Mépriser tout ce que je fis. 
Même un jour je vous écrivis 
Un billet tendre que vous lûtes, 

Et je ne sais comment vous pûtes 
De sang-froid voir ce que j’y mis. 
Ah! fallait-il que je vous visse, 
Fallait-il que vous me plussiez, 
Qu’ingénument je vous le disse, 
Qu’avec orgueil vous vous tussiez ! 
Fallait-il que je vous aimasse, 
Que vous me désespérassiez, 
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse, 
Et que je vous idolâtrasse 
Pour que vous m’assassinassiez !


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