2 novembre 1914, dans les tranchées, cote 113.
Déplorant l’approche probable de l’armistice, le lieutenant d’Aulnay-Pradelle veut provoquer un coup d’éclat dans l’espoir de gagner un galon. Il envoie deux soldats en banale mission d’exploration du côté des boches – mais ils se font tuer très vite, ce qui provoque l’indignation de leurs camarades, prêts à en découdre. Mais voilà : le jeune Albert Maillard, parti à l’assaut pour les venger, s’aperçoit que ses camarades ont été tués… dans le dos ! Très suspect. Surgit alors derrière lui le lieutenant Pradelle, l’auteur de ce double assassinat ; il fait basculer Albert, témoin gênant de ces meurtres prémédités, dans un trou d’obus dont il ne pourra sûrement pas sortir. Mais un autre camarade, Edouard, parviendra à le tirer de là – sauf qu’un éclat d’obus le défigure à tout jamais.
La guerre finie, Albert prend Edouard sous son aile, un Edouard « gueule cassée » qui va refuser de se faire refaire le visage – et pour cela, devra changer d’identité.
Démobilisés, les deux amis vont survivre difficilement, d’autant plus qu’Edouard, sans mâchoire, n’est pas présentable. Son père, qui le croit mort, envoie sa fille Madeleine récupérer son frère sur l’ancien champ de bataille… un corps qui, évidemment, ne sera pas le sien : Albert, témoin de la mort factice d’Edouard, confie donc à la jeune Madeleine le cadavre d’un inconnu. Comble de malchance, Pradelle ( devenu capitaine pour faits héroique, un comble ! ) conduit cette recherche. Il va aider Madeleine… qu’il épousera l’année suvante. Entre-temps, pour survivre, Edouard convainc Albert de se lancer dans une opération frauduleuse très risquée… mais qui pourrait rapporter gros.
Ce bref résumé du début de ce roman constitue le nœud de tout l’action qui va suivre : un Pradelle assassin qu’Albert s’est juré de dénoncer, et un Edouard défiguré, passé pour mort, dont les dons pour le dessin vont le convaincre de lancer une souscription aux monuments aux morts – monuments qui ne seront bien sûr jamais fabriqués ni livrés.
Pradelle n’est pas en reste : pour restaurer le château de ses ancêtres, il va profiter de sa notoriété acquise par son mariage avec Madeleine ( le père d’Edoaurd et de Madeleine est à la fois fortuné et haut placé ) pour s’enrichir de façon aussi frauduleuse…
Prix Goncourt 2013, Au-revoir là haut est lun des derniers récits dénonçant ( avec un réalisme et un humour ravageur ) les nombreuses malversations qui ont sans doute suivi la fin de la guerre. « Pour le commerce », note-t-il dans son récit, « la guerre présente beaucoup d’avantages, même après. »
Pierre Lemaitre reste en effet le narrateur et le maître de son récit : il le relate à la première persone, ne craignant pas d’apostropher son lecteur, tout en le plaçant dans la peau de ses personnages principaux : Albert, Edouard et le capitaine Pradelle, dont les caractères très différents son superbement typés.
Un ouvrage magistral, qui, grâce au Prix Goncourt, hausse Pierre Lemaître dans la catégorie des écrivains majeurs, lui qui jusqu’à présent s(était ilustré dans le polar, un fait qui a un précédent : on se souvient qu’en 1989, Jean Vautrin avait obtenu le même galon en décrochant le Goncourt avec Un grand pas vers le bon Dieu.
Lu dans sa version d’origine, un joli grand format dans la collection habituelle Albin Michel. Mais depuis sa parution, l’ouvrage a été réédité en poche – et adapté à la fois en BD… et au cinéma.