Récits d'un jeune médecin, Michaïl Bolgakov, L’âge d’Homme

1917-1920 en Russie puis en URSS…

Le narrateur ( en réalité, Boulgakov en personne ), jeune médecin de 23 ans qui n’a encore jamais exercé, arrive à l’hôpital de Mourievo, non loin de Gratchevka ( en réalité Nikolskoïe, près de Smolensk ), un lieu désert et déshérité. Il remplace Léopold Léopoldivitch, qui a laissé une magnifique réputation… et le médecin novice n’en mène pas large.

Serai-je à la hauteur ? ne cesse-t-il de se demander, car on le prend encore souvent pour un étudiant en médecine. Flanqué d’adjoint compétents et attentifs, un feldscher et deux sages-femmes, il doit affronter une série de cas souvent désespérés.

Le premier jour, il parvient à sauver ( en l’amputant ) la fille unique d’un veuf, « tombée dans la broie » et dont le corps inconscient lui est apporté en charpie – elle survivra !

Puis il doit affronter un accouchement « avec présentation transversale », lui qui n’a jamais assisté qu’à un seul accouchement ordinaire.

Fébrile, face à chaque nouveau cas, il rassemble ses souvenirs universitaires, les indications de livres dont il connaît le contenu par cœur… Mais passer à la pratique en urgence, c’est une autre paire de manche.

Il affrontera aussi une trachéotomie, pratiquée in extremis sur la petite Lidka qui en train d’étouffer…

Parfois, ses efforts sont vains et le patient meurt.

D’autres fois ( comme dans L’œil disparu ), il se trompe – et en explique, confus et coupable, le détail au lecteur.

Dans L’éruption étoilée, il doit se battre avec ses propres patients pour les convaincre qu’ils sont atteints de syphilis… et qu’ils contaminent leurs partenaires, pas simple.

Enfin, il arrive souvent que le malade comprenne mal la façon dont il doit prendre le remède prescrit… et qu’il avale tous les comprimés d’un coup alors qu’il doit en prendre un chaque soir. Aussi, en ce début de XXème siècle et dans ce lieu reculé, ses patients sont le plus souvent des paysans sans aucune instruction, qui font davantage confiance au guérisseur local qu’à ce jeune praticien.

Cette série d’anecdotes est suivie des Aventures singulières d’un docteur ( explicitement autobiographiques ) et d’une fiction courte et édifiante, Morphine, ou « le journal intime retrouvé d’un camarade devenu morphinomane » et qui, avec force détails, montre de jour en jour la terrifiante descente aux enfers d’un collègue prisonnier de l’accoutumance.

De Boulgakov, on ne connaît guère ( du moins… moi ! ) que Cœur de chien et son célèbre et édifiant roman Le maître et Marguerite, libre variation sur le mythe de Faust.

Ici, le narrateur nous fait entrer dans l’univers réaliste de sa jeunesse médicale, un autoportrait modeste et attachant, et la peinture d’une société paysanne arriérée : des gens souvent simples et bien intentionnés.

Le style est vif, efficace ; et le ton reste celui de la confidence, nuancé d’autodérision.

Certes, l’ouvrage est composite, mais l’ensemble de ces différents récits, comme nous le justifie le traducteur, possède une indéniable unité ; c’est la peinture unique d’une société en mutation, qui devra rapidement passer des superstitions du Moyen-Age au réalisme scientifique…

Dans L’œil disparu, le narrateur ( qui note scrupuleusement ses consultations chaque jour ) additionne toutes celles qu’il a dû donner : en une année, j’avais examiné quinze mille six cent trente malades. J’avais eu deux cents hospitalisés et il ne m’en était mort que six. 

Des chiffres authentiques ( très exactement 15 631 ), comme l’attestent les documents officiels du médecin Mikhaïl Boulgakov…

Soit 43 ou 44 consultations par jour.

Etonnés ?

Ces chiffres approchent pourtant ceux de notre actuel médecin de campagne généraliste.

Il est toujours à la recherche d’un collègue… ou d’un remplaçant.

S’il y a des volontaires parmi mes lecteurs, ils sont les bienvenus !

CG

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