7. On présente souvent la science-fiction comme prémonitoire, mais dans les faits, nombreuses sont les inventions mises en scène et leurs conséquences qui existaient déjà à l’époque. Et réciproquement beaucoup d’inventions ou la manière imaginaire dont ces inventions sont utilisées, sont ensuite reconstruites dans la réalité :
* le communicateur et la tablette de Star Trek ( la série originale ) qui deviennent les téléphones cellulaires des années 1990 et les tablettes des années 2000…
* le tableau de bord du vaisseau de Valérian qui devient le tableau de bord d’une voiture Renault – mais aussi très récemment,
* la Chine qui transpose à l’échelle de sa population l’épisode chute libre de la série Black Mirror (saison 3 épisode 1), en notant socialement tout le monde et en punissant ceux qui n’ont pas une note suffisamment bonne à leur goût.
D'où ma question : Est-il si difficile que cela pour un auteur de Science-fiction d’imaginer un monde meilleur, et par là d'inspirer un monde meilleur ?
Le glissement sémantique de votre question me pose problème car je ne suis pas certain que de telles innovations soient forcément positives ! Dans Le complot ordrien ( in Travelling sur le Futur, Duculot, 1980 ), j’ai imaginé une France socialiste, dans laquelle mon héros se plaignait de la lenteur de l’application des nouvelles lois ( hum, Mitterrand est arrivé peu après ). J’ai aussi évoqué le complot d’un parti d’extrême droite qui prenait le pouvoir – c’était très optimiste puisque la même extrême droite, aujourd’hui, pourrait bien accéder au pouvoir… par les urnes ! Dans ce même roman, fumer devenait asocial et les enfants handicapés étaient intégrés dans les classes… on y viendrait peu après.
Mais pour répondre à votre question…imaginer ou inspirer un monde meilleur, difficile ? Non. Il m’est souvent arrivé de le faire. Ce qui en revanche est difficile, c’est de séduire le lecteur avec un roman qui relève de l’utopie. Les grands succès de la SF, on le sait, sont des dystopies ou des « romans catastrophe » : La guerre des mondes, Brave New World, 1984... Plutôt qu’imaginer un monde meilleur, la SF préfère explorer les conséquences négatives d’une invention ou d’une hypothèse. Pour filer la métaphore, disons qu’elle préfère montrer les sens interdits plutôt que les itinéraires conseillés.
L’une de mes « Minute du vieux schnock » ( c’est le nom du billet d’humeur de mon blog ) s’intitulait : La SF ne sert à rien ! En effet, les avertissements qu’elle nous a laissés, nous les avons négligés. Tous les pièges qu’elle dénonçait, nous y sommes tombés ! Big Brother ? Il s’appelle Google, GAFA et cookies. Aujourd’hui, les caméras de surveillance fleurissent un peu partout. Et on les réclame ! En 1953, avec Fahrenheit 451, Bradbury imaginait une société dans laquelle la lecture et les livres étaient interdits. Aujourd’hui, c’est pire : plus besoin d’interdire les livres, les jeunes générations s’en passent volontiers !
Où sont les utopies aujourd’hui ? En écrire est très acrobatique puisque par définition, dans les utopies, il n’y a aucun problème, tout se passe bien ! A noter que les utopies d’autrefois ( je pense à l’Utopia de Thomas More ou au Voyage en Icarie de Cabet ) sont devenues des dystopies aux yeux des lecteurs de 2020. Thomas More imaginait ( en 1516 ! ) une société où la propriété n’existait pas. Et Cabet, des heures réservées à des exercices physiques communs ou à des repas pris ensemble. Une société égalitaire et collectiviste ? Quelle horreur !
Eh oui : la frontière utopie-dystopie est fragile, fluctuante. Son illustration littéraire la plus éclatante ? Les dépossédés, d’Ursula Le Guin – un bijou !
Ma seule véritable utopie, c’est Ecoland ( Rageot, 2003 ), l’un de mes romans les moins vendus. Je l’ai écrit en 1984. Il y était question d’une micro-société en évolution permanente qui vivait en autarcie. Avec des éoliennes et du gaz de compost. Une société sans pétrole. Une agriculture sans pesticide avec le retour des coccinelles et du cheval. Un monde autogestionnaire qui ne consommait pas de viande ( j’en passe… ) Refus de la plupart des éditeurs qui jugeaient cette société proche d’une secte de babacools et un retour en arrière. Oui, j’étais un « soixante-huitard attardé ». Je note que la plupart des propositions que je faisais sont recommandées et adoptées aujourd’hui. Un mode de vie qui devrait être le modèle planétaire si l’humanité voulait survivre. Mais elle préfère fermer les yeux, s’entêter dans une économie de marché et un mode de consommation effréné qui entraînent la planète vers un suicide programmé. On vient de lancer un supertanker qui ( fake news ? ) consomme paraît-il autant que… 60 millions d’automobiles ! Et on prétend vouloir réduire le CO2 ?
8. Beaucoup d'annonces récentes sur la conquête spatiale doivent forcément vous faire rêver, puisque avec le retour de la guerre froide, et les annonces de conquêtes de Mars et de la Lune par la Chine et l'Inde, les USA nous promettent à nouveau des vols interplanétaires. Elon Musk a assuré pour sa part que le vaisseau de transport orbital et interplanétaire serait prêt pour 2019 (également pour concurrencer les avions de ligne) et que forcément, la concurrence lui emboiterait le pas. Que pensez-vous de ce réveil soudain technologique, qui arrive en même temps que les voitures volantes et les robots qui marchent, courent, sautent pour de vrai tandis que James Cameron envisagerait de tourner la trilogie Mars la Rouge / la Bleue / la Verte ... sur Mars, la vraie, avec des drones?
Ces annonces ne me font pas forcement rêver, non. Pourquoi ? Parce que je pense que ces annonces risquent fort de ne pas être concrétisées. Dans l’une de ses lettres, Michel Jeury m’a un jour écrit cette jolie phrase : ah, comme le futur était beau avant que l’an 2000 n’arrive ! Une formule que j’approuve à 100 %.
Ce que j’en pense ? Sincèrement – et je vais décevoir le plus grand nombre, je le sais : je crois que ces projets ambitieux concerneront une minorité et que leur application pratique n’est pas pour demain – si elle survient. Ah, si : les taxis volants ( annoncés pour 2025) et autres drones-livreurs-de-marchandises préconisés par Amazon. La voiture autonome ? Peut-être. Mais en développant mes convictions, je vais vous paraître réaliste ou pessimiste…
Soyons clair : il existe une SF proche de l’anticipation qui imagine des futurs proches et vraisemblables. Et une SF qui joue davantage avec l’impossible qu’avec les possibles. Nous savons tous ( même si nous acceptons avec joie ces SI majuscules ) que la machine à explorer le temps est un rêve. Comme le sont le transmetteur de matière et les voyages stellaires – les obstacles scientifiques sont gigantesques – voire infranchissables ! Et s’il est facile de plier l’espace-temps ou de passer dans le subespace en appuyant sur un bouton, le réaliser, c’est une autre paire de manche.
Dans l’un de mes premiers romans, Sabotage sur la planète rouge ( 1972 ), j’imaginais que la première expédition habitée sur Mars aurait lieu en … 2045.
Stupéfaction et rires de mes jeunes lecteurs, qui avaient assisté aux sept missions Apollo : Mais m’sieur, on s’ra sur Mars bien avant l’an 2 000 ! J’expliquais alors que l’expédition martienne, sauf mise au point peu probable d’un mode de propulsion révolutionnaire, c’était huit mois de voyage aller, huit mois sur place et huit mois pour le retour. Avec une série de problèmes complexes, le premier étant la survie d’un équipage pendant les trajets… et sur place : absence de pesanteur, ondes dangereuses, provisions de survie ( nourriture, eau recyclée, phytotron, transport d’un matériel de plusieurs tonnes, etc. ) Bref, 2045 me semblait un délai raisonnable. Et la date de la première mission ne cesse de reculer, même si des milliers de volontaires se sont déjà proposés ( si j’en crois Elon Musk ) pour un voyage aller sans garantie de retour.
Le tourisme spatial ? Il est déjà au point. Reste à trouver des clients prêts à payer 50 ou 100 000 dollars pour un tour de la Terre en une heure et demie – sans parler du CO2 produit qui fera hurler les écologistes, à l’heure où l’on commence à comprendre que le tourisme ordinaire cause de gros dégâts – gageons que des lois finiront par le réduire.
Les deux ou trois décennies à venir vont, je le crains, remettre les pendules à l’heure. Faire prendre conscience ( comme ce fut le cas au début des années 70, où le space opera a peu à peu laissé la place aux problèmes terriens et terrestres ! ) que la priorité, c’est la survie de notre propre espèce. Et reléguer la conquête de Mars à un luxe inutile et très ( trop ) coûteux.
Ah… James Cameron ! J’en pense le plus grand bien. J’aurais pu ajouter Abyss à la liste de mes films préférés. Et comment renier Avatar dont le synopsis est un copier-coller de mon roman Le Montreur d’étincelles ( 1978, Robert Laffont ) – que James Cameron n’a sans doute jamais lu, il n’est pas traduit en anglais ! Mais tourner sur place la ( superbe ) trilogie de Kim Stanley Robinson ? C’est un rêve ! Quitte à être provocateur jusqu’au bout, je crains que l’Homme, contrairement à ma prévision de 2045… ne mette jamais le pied sur Mars.