La lecture recule. Du moins celle du livre papier.
On me rétorquera : « Qu’importe le support, puisque la lecture perdure ! » Une nuance importante que je me permettrai d’affiner un peu plus loin.
Revenons d’abord à une idée reçue : « Les jeunes ne lisent plus ! ( ou lisent moins ) ». Oui, une idée reçue que je rectifiais à l’aide de chiffres : après la guerre, dans les années 50, malgré les progrès de l’alphabétisation, les jeunes lisaient peu. Il suffit de comparer le nombre de titres ( et de collections ) destinées à la jeunesse pour s’en convaincre.
Cette illusion d’optique était entretenue par les enseignants et bibliothécaires lettrés dépités de constater le manque d’appétence du plus grand nombre. Concernant la seconde moitié du XXe siècle, un fait est pourtant validé : chez les jeunes, la lecture – notamment la lecture plaisir – n’a cessé de progresser. Notamment grâce au collège unique, à la création des BCD et CDI et au dynamisme des bibliothèques et des médiathèques. Face aux doutes des profs et des docs, mon discours ( provocateur ? ) était d’ailleurs : « Je suis même étonné que les jeunes continuent à lire face à la concurrence impitoyable de tout ce qui n’existait pas en 1950 : la télé, les jeux vidéo, Internet, les réseaux sociaux, les téléphones portables, les copains… j’en passe ! »
D’une certaine façon, la lecture ( et l’écriture ! ) continuent de progresser. On n’a jamais autant consulté de sites, lu et écrit de messages, qu’il s’agisse de mails ou de SMS.
En revanche, avec la poussée récente du numérique ( liseuses et tablettes ), les ventes des livres papier accusent un recul sensible depuis quelques années. Il y a encore 10 ans, les plus optimistes ( qui s’affichaient « progressistes » ) affirmaient : « Pas grave ! Le livre numérique va peu à peu supplanter les versions papier. Et la lecture fera de nouveaux progrès. Il suffit de voir ce qui se passe aux USA ! » Une erreur que les chiffres ( et les revenus des auteurs en général et des auteurs jeunesse en particulier ) confirment : en France, les ventes des livres numériques stagnent. Autour de 1% !
(suite de l'édito de novembre 2013)
Mais la chute ( notamment en jeunesse, et plus particulièrement dans le secteur des 10-15 ans ) se poursuit. Parfois de façon vertigineuse dans le domaine des ouvrages « prescrits », ceux que les enseignants utilisaient avec l’appui des instructions officielles, pour aborder par exemple l’Egypte ( L’œil d’Horus ) , la Grèce ( Le messager d’Athènes ) ou le Moyen-Age ( Le faucon déniché ). Une chute multiple facilement expliquée par les nouvelles instructions, qui recommandent de ne réserver les ouvrages jeunesse qu’à la lecture cursive, et par l’informatisation de l’enseignement. Les budgets dévolus à l’achat de livres passent désormais, avec l’aide des conseils généraux, à l’achat d’ordinateurs et de tableaux numériques. Objectif avoué : démocratiser l’enseignement en permettant aux élèves de se familiariser avec l’informatique. Sauf que dans les familles, même les moins aisées, le budget consacré à l’ordinateur me semble toujours supérieur à celui du Livre.
Une parenthèse concernant la littérature jeunesse… Ce recul touche moins l’école primaire ( où la lecture reste prioritaire et l’usage de la littérature jeunesse encore autorisé ! ) que le collège, où les jeunes adultes ( disons les 4èmes/3èmes ) avaient déjà depuis longtemps tendance à bouder le CDI et la fiction.
Aux Etats-Unis, dans 45 des 50 états, on n’apprend désormais plus à écrire aux élèves : on leur confie tout simplement un clavier d’ordinateur. Non, ce n’est pas de la SF, c’est la réalité. C’est une révolution plus importante que celle du passage de la plume Sergent-Major au Bic ( fini, le cauchemar des taches d’encre, des pleins et des déliés ! ) Réfléchissez : que de temps gagné ! Il suffit d’appuyer sur la bonne touche pour qu’une lettre s’affiche et qu’on construise un mot ! Seuls les esprits chagrins comme le mien verront là un recul.
D’ailleurs, en guise d’exemple, on nous livre souvent le mécontentement des lettrés du XVème siècle qui voyaient dans l’imprimerie une invention diabolique. Ou, en remontant encore davantage dans le temps, celui des aèdes qui voyaient la parole concurrencée par l’invention de l’écriture. Oui, bref rappel : le vieux dicton « Les écrits restent, les paroles s’envolent » ( scripta manent, verba volant ) a été toujours très mal interprété, comme je le rappelle dans la postface de mon roman Mission pour Pharaon. Ce dicton rappelle que la parole est magique et démocratique, elle a des ailes et peut voler, se transmettre – alors que l’écrit est inerte, silencieux et mort ! L’avenir a bien sûr montré les vertus de l’écrit ( transmission, réflexion, etc. ) face à la volatilité de la parole, adulée autrefois par les orateurs grecs. Michel Serres, dans Petite Poucette, semble d’ailleurs saluer cette nouvelle génération qui jongle avec les technologies et enterre peu à peu les utilisateurs du livre papier. Un nouveau Sapiens ( les Zappeurs et autres « hommes-écrans » de mon récit Virus LIV 3 ? ) est donc en train de naître, dont les connexions neuroniques du cerveau seraient différentes de celles ( dépassées ? ) des vieux utilisateurs du Livre.
Ce débat serait vain s’il ne cachait pas de lourds enjeux culturels et économiques.
Culturels, oui. Parce que si Internet et le zapping favorisent l’accès immédiat à mille informations, ils dispersent aussi l’attention et annihilent souvent tout approfondissement – approfondissement de l’information elle-même, et de la réflexion qui accompagne toute lecture. Quant aux utilisateurs des liseuses, j’en connais qui passent moins de temps à lire qu’à pirater et à télécharger des récits, histoire d’engranger 4 ou 5000 textes, à l’image de ceux qui collectionnent les amis sur Facebook et passent rarement une soirée à échanger avec UN ami en tête à tête ! Que ces tendances se généralisent, passe encore. Mais que les textes officiels et les lois les soutiennent et les subventionnent m’inquiète.
Car l’enjeu est aussi économique. A y regarder de plus près, cette guerre picrocholine ( en apparence ) profite surtout à… Google et à Amazon qui, par parenthèse, ne paient quasiment pas d’impôt !
Spéculateurs, réjouissez-vous : malgré le bref « recul de la progression des bénéfices d’Apple » ( seulement 37 milliards de dollars de bénéfices nets, mais un chiffre d’affaires de 171 milliards de dollars sur l’année, donc en progression ), le numérique a un bel avenir. Donc, investissez ! Et tremblez, écrivains et bibliothécaires, libraires indépendants et lecteurs invétérés !
Parce que dans cette lutte, le citoyen libre et indépendant risque fort de finir perdant.
1 De Claire K -
Je voulais justement vous écrire à propos de la lecture : mon petit frère de douze ans, qui a en temps normal la même relation aux livres que moi à la physique quantique (à savoir "beuuuurk"), lit des livres, des vrais, avec des pages dedans! Il a découvert (et terminé, et aimé, miracle!) Simulator, et je crois qu'il est en train de lire @pocalypse. Merci!
Je suis contre la tablette comme support de lecture. Les "jeunes" (plus jeunes que moi, je veux dire, c'est-à-dire entre 8 et 20 ans) ne lisent pas, sur une tablette, ils font des jeux. J'ai lu il y a quelques années un roman de science-fiction de Scott Westerfeld, Uglies, dans lequel les héros ne savent pas écrire à la main, ils ne font que taper à l'ordinateur. Pour moi, c'était de la science-fiction pure...
Je trouve choquant que les outils électroniques servent de plus en plus de cerveau de rechange à de plus en plus de gens. Toujours dans le cas de mon petit frère, et de la majorité des élèves de sa classe, l'Ipod, Ipad ou téléphone portable devient une extension du cerveau et une prothèse nécessaire : mon frère ne peut pas faire ses devoirs, que ce soit de maths, de français, de biologie ou d'autre chose, sans son Ipod dans la main. Pas posé sur la table, dans la main. Parfois dans la poche, mais toujours allumé. Il ne sait pas développer de réflexion de longue durée, il zappe. Il ne retient pas, il enregistre les informations quelque part en se disant qu'il pourra toujours les retrouver. Quand on lui confisque son Ipod, il ne peut plus travailler, et je ne suis pas sûre qu'il puisse encore penser. Le problème, c'est que quand on ne lui confisque pas, il ne travaille pas non plus...
Je pense que la véritable révolution n'est pas tant l'informatique en soi que la mobilité de cet outil : un ordinateur fixe, on peut s'en passer, il reste sur sa table et il y est très bien. Un téléphone mobile (plus ou moins "intelligent", je n'aime pas ce mot, à croire que l'intelligence est transférée du propriétaire à l'objet) ou une tablette, on peut l'avoir sur soi partout, le consulter partout, se reposer sur ce support. C'est ça qui est inquiétant, ce côté "je suis inséparable (et dépendant) de mon téléphone/smartphone/ordinateur portable".
Parfois, j'ai peur que le cerveau finisse par devenir une extension de la machine...
Point rassurant : selon un sondage réalisé par une enseignante dans une classe de seconde, la majorité des élèves sont contre le livre numérique. On ne peut pas sentir l'objet et son épaisseur, le toucher, voir combien il reste à lire. Ce n'est pas un "vrai livre"...
2 De Léonie -
Je suis parfaitement d'accord avec vous ! Concernant votre parenthèse sur la littérature jeunesse, je suis actuellement en 3ème et parce que je lis, je suis considéré comme étant une "extraterrestre" par mes camarades !! A croire qu'ils n'ont jamais une personne lire ! Hallucinant... Bref, je rejoins Claire K, la majorité des élèves de ma classe, utilisent tout le temps leurs portables/tablettes. Par exemple, pour vérifier un mot, ils ne vont pas se diriger vers le dictionnaire mais vers leurs portables ! Est ce aussi la fin du dictionnaire ?
3 De GRENIER -
Un très grand merci, Claire,
pour cette réaction et ces réflexions fort bienvenues.
En effet, la jeune ( les 10/15 ans ) génération semble être de plus en plus dépendante de ces objets. On est "addict" à ce qu'on peut ! Moi, hum... ce sont les livres !
Si je suis privé de livres pendant un voyage ou une attente un peu longue, je me sens tout nu... et même parfois en manque !
Pour d'autres, ce sont la voiture... ou la télé. Ne parlons pas de la cigarette. L'absence de l'un de ces trois objets peut générer de la panique chez les accros !
Le téléphone portable ( ou le smartphone ) est en effet pour veaucoup devenu une prothèse !
Quant à l'intelligence prétendue de l'objet, cela peut faire sourire... certaines technologies peuvent exercer la réflexion ou stimuler l'intelligence, mais il ne faut jamais oublier que ce sont... des machines !
4 De GRENIER -
Mais oui, Chère Léonie,
Les vrais lecteurs sont aujourd'hui des extraterrestres !
Quant aux dictionnaires ( et aux encyclopédies ), leur vente est en chute libre, et on en trouve de plus en plus à vendre d'occasion : ils pèsent lourd, tiennent de la place... et puis l'avantage ( apparent ) d'Internet, est qu'il suffit de taper le mot.
Or, la difficulté majeure, quand on cherche un mot dans le dictionnaire... est de finir par le dénicher en tournant les pages et en situant le terme à sa bonne place, par ordre alphabétique.
Un vrai casse-tête !
Pour ma part, je trouve plus rapidement la définition d'un mot dans le dictionnaire ( question d'habitude ! ) qu'en cherchant sur Internet, où les renseignements sont d'ailleurs très limités.
Moi, j'ai le choix entre le grand Larousse, le Quillet, le Robert, le Trésor de la langue française ( Gallimard ) le Littré... j'en passe !
Mille amitiés, Léonie !
5 De Quentin -
J'ai 12 ans et j'ai bien aimé ce livre et je voudrais un ou plusieurs livres de Grenier. Merci