Le Blog de Christian Grenier, auteur jeunesse

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Lundi 23 décembre 2019

NOUS TROIS, Jean Echenoz, Editions de Minuit

Le narrateur ( DeMilo… mais on l’apprendra très tard, page 156 ! ) travaille dans l’aérospatiale avec Blondel et Begonhès. Blondel (qui n’est pas le narrateur mais tout de même le héros du récit – vous suivez ?), lui, a divorcé de Victoria. Blondel, donc, quitte son impasse du Maroc pour partir en congé et rendre visite à Nicole dans le sud de la France.

Sur l’autoroute, il s’arrête pour venir en aide à une inconnue dont la Mercedes, en panne, a pris feu. Fort gentiment, il accompagne la jeune femme jusqu’à Marseille et la dépose sans qu’elle ait desserré les dents.

Nicole absente, c’est Marion que Meyer finit par rejoindre – puis Elisabeth, qui hélas est… déjà en main.

Grâce au parfum inoubliable de l’inconnue qu’il a dépannée ( et qu’il appelle Mercedes, faute de connaître son prénom, qu’elle n’a jamais voulu lui livrer ), Meyer la repère dans un grand magasin de Marseille et la suit dans un ascenseur bondé au moment précis où se déclenche… un terrifiant tremblement de terre !

Muni de l’autoradio de sa voiture qu’il a garée - mais où ? Tout est détruit ! – il accompagne l’inconnue à la Mercedes et trouve enfin une voiture à acheter dans une ville complètement ravagée. L’autoradio retrouve sa place… dans un véhicule qui n’est pas le sien.

Décousu, ce début de résumé ? C’est normal.

Le récit n’est d’ailleurs, comme souvent dans le nouveau roman en général ( et chez Jean Echenoz en particulier ) qu’un prétexte. Prétexte à décrire de originale un paysage, un enchaînement de pensées, un décor, un cataclysme… voire ( en fin de récit, où le lecteur, le narrateur et Meyer vont retrouver Mercedes qui ne s’appelle pas Mercedes, évidemment, et qui révélera les raisons de son silence obstiné… ) un véritable voyage spatial après un entraînement inoubliable dans un simulateur de vol encore plus terrifiant que le tremblement de terre qui a précédé… un vrai régal, pages 142 à 150 ! Oui : « Une petite semaine en orbite » ( p. 117 ) avec « le déploiement des satellites Argo et Sismo » (p. 126)

Il y a trente ou quarante ans, il m’arrivait de prétendre que la seule chance de survie de la science-fiction, c’était d’être récupérée et digérée par la littérature générale ; c’est un peu ce qui se produit ici, de façon presque prématurée puisque Nous Trois (1992) est le sixième roman d’un auteur qui, lauréat du Prix Médicis (avec Cherokee, 1983 ), décrochera le Prix Goncourt en 1999 avec Je m’en vais.

Le nouveau roman ? allez-vous rétorquer. Mais c’est de l’histoire ancienne !

Euh… pas tout à fait. Parce que Jean Echenoz, dans ce récit au titre improbable, nous en propose un remake particulièrement réussi.

Pour un amateur de littérature (ou un lecteur à la fois curieux et averti), c’est un vrai régal !

Ainsi, abandonnant le Je de l’incipit et du premier chapitre (qu’on retrouvera, en écho, à la fin du récit… au chapitre 18 !), l’auteur nous propose un étonnant travelling dès le chapitre 2 en partant… du simoun du sahara : « Le Touareg, bâché de bleu, se tient coi sur la bosse de sa bête. » Suivant le chemin du vent, il nous mène du Maroc… à l’impasse du Maroc :

« Croisant vers le nord, le tapis volant marocain touche Paris dans le milieu de la nuit, s’y dissémine uniformément sans omettre bien sûr le secteur Maroc, vers Stalingrad après la rue de Tanger ; il recouvre la rue du Maroc, la place du Maroc au bout de laquelle réside Louis Meyer, homme astigmate et polytechnicien, quarante-neuf ans jeudi dernier, spécialisé dans les moteurs en céramique. Homme infidèle et divorcé d’une femme, née Victoria Salvador le jour de l’invention du poste à transistors. Homme seul et surmené qui va se payer, pour son anniversaire, une petite semaine à la mer». p. 14.

Plus loin, page 55, on trouve « à l’ombre d’un ficus en coma dépassé », un réceptionniste qui va « lever un grave regard de brancardier pentecôtiste – pas plus de trente ans, pas plus de mille cheveux accrochés en camping sauvage au flanc des temporaux. »

Déconcertant ? Oui, mais ô combien jouissif et inattendu à mes yeux !

De même, la description de l’amant provisoire d’Elisabeth : « La douleur de son regard pouvait dénoter le banal comme le pire, la carence maternelle ou l’embarras gastrique, l’horreur du vide ou la rupture de stock de Gitanes filtre. » ( p. 58 )

Quant à la description de la panique marseillaise qui suit le tremblement de terre éponyme, elle tient à la fois de Raymond Queneau, de Francis Ponge et de Tristan Tzara : « Le téléviseur n’avait pas l’air de se souvenir de son propre mode d’emploi (…) affecté d’une forte bronchite électronique. Son front valsait de l’état de frontière à l’état de fronton »… Echenoz ne cesse de jouer avec les mots et leur sens. Ainsi, « sous le porche d’un cours secondaire privé, trois blondes extra-légères grillaient des anglaises en attendant mieux »

On le voit : le décodage de la phrase est souvent multiple !

Vous aimez vraiment ça ? allez-vous ( sincèrement ) me demander.

Oui ! Loin des sentiers (re)battus, Jean Echenoz, qui a digéré le meilleur de Claude Simon, reste en ce début de XXe siècle un rescapé à sauvegarder, au même titre que le formica et l’Amazonie : le Bobby Lapointe de la littérature !

CG

Lu dans sa version d’origine, la Blanche ( qui l’est vraiment, contrairement à la Crème de Gallimard qu’on surnomme la Blanche à tort – ou à tort la Blanche ? ) des Editions de Minuit. Il en existe une autre, plus récente, illustrée d’une photo en couleurs de Kourou, en Guyane – le décollage d’une fusée !

Lundi 02 décembre 2019

LES LISIERES, Olivier Adam, Flammarion

Sarah a quitté Paul, son mari, un écrivain qui a plutôt réussi mais qui boit, fume, déprime et dont le besoin d’écrire lui fait négliger ses deux enfants ( tu n’es jamais là, lui reproche Sarah. Vivre avec toi, c’est vivre avec un fantôme ).

Le problème, c’est que Paul aime toujours Sarah. Il tente de gérer la situation en accueillant de temps en temps leurs enfants Manon et Clément, qui ne comprennent pas les causes de la séparation de leurs parents.

Mauvaise période pour Paul : François, son frère aîné, le prie de s’occuper un peu de leurs parents qui vieillissent mal. Leur mère, qui a chuté et est toujours hospitalisée, semble atteinte d’Alzheimer, un fait que leur père ( obtus et brut de décoffrage ) refuse de reconnaître : il prétend qu’elle est simplement abrutie et perd la tête à cause des médicaments.

La vérité, c’est que les deux frères ne s’entendent pas : François est vétérinaire dans un quartier chic et vote à droite. Il reproche à son cadet de régler ses problèmes familiaux dans ses livres, ce qui lui semble injuste et indécent. Paul, lui, est consterné par la montée du Front National et par l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima…

Obéissant aux injonctions de son frère, il retrouve les lieux de son enfance ( le quartier populaire d’une station balnéaire, Paul et François sont issus d’une famille ouvrière,), il rencontre d’anciens camarades qui sont à la fois flattés et vexés de le revoir : ils ont aperçu Paul à la télé, certains ont essayé de lire ses récits, qui évoquent le monde des banlieues… un monde qu’il a pourtant quitté et dont il ne fait plus partie. Bref, il a renié sa famille d’origine, dont il évoque les problèmes et défend pourtant les intérêts dans ses ouvrages.

La situation s’aggrave quand il soupçonne Sarah de le tromper avec un médecin bellâtre qu’il a surnommé Clooney. De son côté, il retrouve une amie d’enfance, Sophie, embourgeoisée, mariée et mère de famille… qui se jette à son cou alors qu’il n’a aucun sentiment pour elle…

Soyons honnête : j’ai raté Olivier Adam – même si j’ai failli le lire quand Les Lisières ont frôlé le Goncourt.en 2012. Olivier Adam, je l’avais abordé à L’Ecole des Loisirs, dans Ni vu ni connu, un roman court et mineur auquel je n’ai consacré aucune fiche.

Dommage pour moi. Car Les Lisières est une vraie découverte. Un moment de vie édifiant, que marquent symboliquement la montée de l’extrême droite en France et le raz de marée au Japon qui a causé l’accident de la centrale de Fukushima.

Autobiographique, Les Lisières ? Non, malgré le je permanent, le fait que le narrateur soit lui aussi écrivain, qu’il vive…du côté de Saint-Malo, comme Olivier Adam. et soit issu des banlieues. Le quartier des Bosquets est également évoqué dans Ni vu ni connu, dont le narrateur, même s’il a dix ans,  ressemble à celui des Lisières !

Non… mais on y croit. Et ce créateur déprimé, mal dans sa peau, consterné par la médiocrité de ceux qui l’entourent, reste attachant jusqu’au bout.

Paul est miné par ce qu’il appelle La Maladie – en réalité un secret de famille qu’il ne découvrira qu’à la moitié du récit. Un fait qu’il devine être la cause de tous ses maux.

Mais comment ne pas partager ses coups de gueule, ses diatribes envers la société de marché, la médiocrité de la télé et l’obstination de ses proches ( parents et amis ) à être sensibles aux discours de celle qu’il appelle La Blonde – sans jamais la nommer ?

Paul ( ou Olivier Adam ? ) n’est pas tendre non plus avec le parisianisme, les auteurs à la mode ( p. 197 ) – et même son propre éditeur, jamais nommé lui non plus.

Je suis partial, je l’avoue. Parce que je me retrouve dans les confidence d’Olivier Adam, par exemple lorsqu’il affirme ( p. 21 ) : Prétendre qu’on écrit mieux quand on est seul et au fond du trou relève de la pure et simple fumisterie. Ou encore ( p. 47 ), suite à l’accident de Fukushima, j’ai eu soudain l’impression que le monde voulait me dire quelque chose.

Ou encore ( p. 136 ) : la seule chose qui préoccupait les pouvoirs publics, c’était l’équilibre des comptes, comme en toute chose c’était la gestion, l’économie qui prévalaient.

Passionnant, Les Lisières ? Même pas.

Si vous cherchez un roman d’action, un thriller, passez votre chemin : dans ce récit, il ne se passe rien, ou presque. C’est peut-être la raison pour laquelle deux de mes camarades écrivains ( mes voisines au Salon du Livre de Villeneuve-sur-Lot ! ) se sont écriées de concert en voyant ce livre :

- Tu lis ça ? Et tu en es à la moitié ? Comment tu fais ?

- Je pose la même question, a renchéri l’autre auteure. Moi, je l’ai lâché page 20.

Difficile de leur avouer que ce récit me prenait aux tripes, que j’arrivais à m’y reconnaître alors que ma seule parenté avec le narrateur était… que j’écrivais. Pour le reste, je ne lui ressemble guère – sauf, c’est vrai, en ce qui concerne ses apartés sur le monde en général et la politique en particulier. Je n’ai cessé d’annoter cet ouvrage, m’étonnant que les pages 167-168-169 ne soient constituées… que d’une seule phrase, illustrant le fait que Les Lisières ne sont qu’une longue et douloureuse confidence, même si les dernières pages laissent entrevoir l’ombre d’un espoir.

Mal dans sa peau, épouvanté par l’écho du monde tel qu’il est devenu, peut-être le narrateur me semble-t-il proche grâce au portrait qu’en fait ( p. 176 ) son ami Tristan ( qui est pourtant « un fils de bourgeois » ) : Toi, tu es fait pour déserter, habiter poétiquement le monde et en rendre compte. Un dernier extrait en guise d’exemple : Paul se trouve seul, à l’hôpital, au pied du lit de sa mère qui dort…

Avant de repartir, l’infirmière m’a indiqué la télévision et précisé qu’elle fonctionnait, je pouvais la regarder si je le souhaitais.

- Non, merci. J’ai un livre.

Ma réponse n’a pas paru la convaincre. À l’expression de son visage j’ai eu l’impression d’avoir prononcé là des paroles tout à fait saugrenues, hors de propos. Je lui ai souri et elle a refermé la porte avec d’infinies précautions, comme si moi aussi j’étais malade.

Lu dans sa version grand format, « la Blanche de chez Flammarion », sobre et jolie couverture crème gaufrée, papier bouffant, un livre à la main souple et agréable, des pages couvertes de caractères en corps certes petit mais d’une lecture aisée.

L’ouvrage existe en poche chez J’ai Lu, 500 pages à 7,90 euros. Et je suis sûr que vous le trouverez dans la médiathèque la plus proche.

CG

Lundi 18 novembre 2019

1793, Niklas Natt och Dag, Sonatine

Stockholm, 1793.

Jean Michael Cardell (dit Mickel) repêche dans l’immonde lac Fatburen (qui sert de dépotoir) un cadavre dépourvu de ses quatre membres. Après examen, la victime, morte récemment, privée de langue, d’yeux et de dents, a été amputée mois après mois de chacun de ses membres après cicatrisation, preuve qu’elle a subi d’atroces et interminables tortures. Vétéran de la récente guerre contre la Russie, alcoolique et bagarreur, Cardell a lui-même perdu un bras dans un combat naval. Il est devenu « boudin », c'est-à-dire policier – et il va s’entêter à retrouver le coupable de ce meurtre terrifiant avec l’aide de Cécil Winge, un ancien magistrat intègre que le chef de la police charge d’élucider cette affaire. Winge est aussi entêté que Cardell mais il doit faire vite… car il est tuberculeux et va bientôt mourir. Cette victime, qui est-ce ? Winge la baptise provisoirement Karl Johan…


Unanimement salué par la critique, qui compare Natt och Dag à Patrick Süsskind et Umberto Eco, 1793 est (à mes yeux) moins un polar qu’un superbe et terrifiant documentaire sur la vie quotidienne de la Suède à la fin du XVIIIe siècle.

Dans la première partie, les descriptions (des personnages, des lieux, des faits – et du contexte historique ) l’emportent largement sur l’action, qui avance lentement et par à-coups : il faut plus de cent pages pour que les deux héros (aussi mal en point l’un que l’autre !) découvrent que le cadavre a sans doute été transporté jusqu’à ce lac qui sert de tout à l’égout avec… une chaise à porteur. Aussi, le fil de l’enquête reste souvent le prétexte à un réquisitoire impitoyable sur les conditions de vie de la plèbe en Suède il y a 200 ans, après une révolution française dont l’écho secoue le pays après la mort du peu regretté Gustav III… et les difficultés de sa succession.


À bien des égards, 1793 est une performance : son auteur s’est remarquablement documenté ; et il fait sans doute s’exprimer ses personnages dans la langue suédoise de l’époque, avec parfois des circonvolutions qui ont dû donner bien du fil à retordre au traducteur.

Les personnages se tutoient et se vouvoient de façon parfois inattendue (il faut savoir qu’aujourd’hui, le tutoiement est quasi permanent en Suède ; autrefois, il ne s’imposait qu’avec les gens du même milieu… pas simple !), Winge tutoie Cardell qui le vouvoie… soit.

Le lecteur devra être patient : à la fin de la première partie du roman qui en comporte quatre, il croit être sur le point d’avancer… quand l’auteur lui propose en une sorte d’intermède : la confession épistolaire du jeune Kristopher Blix : une succession de dettes qui s’achèvera dans l’horreur absolue, faisant ainsi le lien, à mi-parcours du récit, avec le cadavre découvert à la première page.

Dans la troisième partie nous est présenté le triste destin de la jeune Anna Stina, condamnée à la Filature. C’est à l’issue de cette partie que le récit s’éclaire et nous permet de retrouver le héros principal : Cardell.


Si l’auteur a rédigé 1793 au présent, il se met dans la peau ( et dans la tête ) de chacun de ses narrateurs successifs, épousant ses états d’âme proches de la terreur ou /et du désespoir…

Si vous aimez les descriptions détaillées des tortures où se mêlent la misère, les épidémies, les injustices, la violence, la beuverie, le stupre, le viol, le sang, l’urine, la merde et le vomi, vous allez vous régaler. Toutefois, l’ensemble est rédigé avec une telle maestria qu’après cette lecture, Hannibal Lecter risque de passer à vos yeux pour un amateur …

Il y a, dans 1793, du Hugo (oui, Quatrevingt-Treize… je sais, c’est facile – mais on y trouve aussi un changement d’identité, comme dans Les Misérables), de l’Eugène Sue mais aussi du Dumas : oui, une évasion qui rappelle un peu celle d’Edmond Dantes !


Le nœud du récit ?

C’est, on le comprendra dans la concluion, une affaire d’espionnage : l’écho de la Révolution française a ébranlé la Suède en général, et son roi en particulier. Gustav Adolf redoute (euh… et il a bien raison !) que son peuple se révolte.

On trouvera dans ce roman pas mal d’histoires d’amour emmêlées et une vengeance qui, malgré les justifications de l’auteur de ces tortures (« un monstre engendré par un monstre », p. 366), parait quelque peu disproportionnée ( ou plutôt proportionnée aux besoins du récit !)


Les dernières pages font l’objet d’une jolie série de coups de théâtre : on croit que tout s’éclaire quand une nouvelle révélation s’ajoute à la précédente et remet l’ensemble en cause.

Best seller en Suède (200 000 exemplaires vendus dans un pays de 8 millions d’habitants) 1793 est un roman plus que noir, on l’aura compris. Son auteur joue à faire durer la vie (ou plutôt l’agonie) de Winge de façon très… théâtrale, car notre sympathique tuberculeux perd du sang de page en page et renaît de ses cendres à plusieurs reprises avec une belle énergie.

Bref, de ce récit (tiré d’une histoire vraie), on ne sort pas indemne, presque persuadé que «l’humanité n’est qu’une vermine menteuse, une meute de loups assoiffés de sang qui ne désirent rien tant que de se tailler en pièces les uns les autres dans leur lutte pour la domination. Les esclaves ne valent pas mieux que leurs maîtres, ils sont juste plus faibles. Les innocents ne gardent leur innocence que grâce à leur faiblesse »( p. 395 ) 

Optimiste, pas vrai ? L’humanité disparaîtra, bon débarras !

Dans le lignée du Millénium de Stieg Larsson,  Dag utilise le polar ( ici, historique ) pour livrer un réquisitoire impitoyable sur le passé politique de la Suède. Mais après la lecture, on a besoin d’un remontant et d’une bonne douche.

Dag nous démontre que la chair est faible, hélas ( mais j’ai lu tout son livre ! )


Lundi 11 novembre 2019

LES CINQ SOUS DU JUIF ERRANT, Aimé Giron, Librairie de Firmin Didot & Cie ( 1888 )

Chargé de sa croix, le Christ marche vers le Golgotah. Il chute une première fois.

La cinquième fois ( et non la deuxième, comme l’auteur nous le suggère ), après que Simon le Cyrénéen eut pris le relais pour porter la lourde croix, il tombe encore… Et Véronique essuie de son mouchoir la sueur et le sang sur le visage de Jésus ( une tradition qui ne figure dans aucun des évangiles, la légende veut que le scapulaire porte la trace du visage du Christ. )

Ah… c’est aussi le moment où Jésus aimerait s’asseoir un instant sur le banc de pierre du cordonnier Isaac Laquedem. En échange, lui affirme le supplicié :

- Mon Père te donnera, pour l’éternité, un trône dans les palais de son royaume, le Paradis.

Le méchant Juif refuse en ricanant et en lui montrant le poing.

- Tu marcheras toi-même, s’écria ( Jésus )-t-il sévèrement en tendant un doigt vers le Juif, jusqu’à la fin des siècles !

Le Christ s’éloigne. Et devant Isaac stupéfait apparaît alors l’archange Gabriel ; il valide la sentence et condamne le Juif à une éternité d’errance :

- Pars avec cinq deniers éternels dans ta ceinture et marche ! Marche encore ! Marche toujours ! 

Ces cinq deniers ( devenus cinq sous dix huit siècles plus tard ! ) sont le seul viatique dont disposera jamais Isaac.

Eternels, ces deniers ? Oui : chaque fois qu’Isaac fouillera dans sa poche, il y trouvera cinq sous – étonnante métaphore que n’aurait pas renié le cynique Diogène, lui qui vivait de rien et jeta même son écuelle de bois, la jugeant superflue puisqu’il pouvait boire entre ses mains !

De siècle en siècle, le lecteur suit l’errance ( les actions et les remords ) de cet étrange héros.

Allons… je vais vous en livrer la fin puisque je doute que vous tombiez un jour sur ce récit.

Après avoir fait le tour du monde et quitté Bruxelles le 22 avril 1774, Isaac songe à sa « riante terre de Galilée » et il revient enfin à Jérusalem. « Depuis dix-sept cent cinquante ans, il en rêvait sans cesse ! » ( page 181 ) « Il traversa la vallée de Josaphat, près de la fontaine Siloé, dans les aloès et les nopals. Il entra, comme un revenant, par la Porte des Maugrabins, le quartier où se groupent les derniers descendants d’Abraham. Les asphodèles, l’hyacinthe, l’hysope, la jusquiame, sortaient par les fentes des coupoles et par les lézardes des créneaux… (…) Il contemplait avec désespoir et envie ce banc, où il avait vu sa femme filer à ses côtés et où il avait tenu ses enfants sur ses genoux. »

Alors lui apparaît un inconnu, une ombre qui lui murmure :

- Viens t’asseoir à mes côtés, Isaac !

Le pauvre maudit crut être le jouet d’une cruelle vision. Il refuse :

- Je suis condamné à marcher toujours, et c’est là, là surtout, qu’il ne m’est pas permis de me reposer !

Il identifie alors son interlocuteur et « tombe sur ses genoux, la face contre terre.

- Jésus de Nazareth ! Christ ! Fils de Dieu ! Miséricorde ! »

Ces paroles – et le passé du condamné, qui s’est souvent racheté au long des siècles – font tomber la malédiction :

- Sois pardonné, Isaac Laquedem ! Tu vas pouvoir mourir et retrouver dans mon éternité, au retour de ta longue expiation, ta femme et tes enfants.

Stop : à cet endroit du récit, je dois le révéler au lecteur… j’ai commis l’imprudence de retrouver ( pour les classer, les ranger ) mes livres d’enfance.

Et je n’ai pas résisté à relire Les cinq sous du Juif errant.

A l’époque, j’avais dix ans, je me souviens avoir sangloté d’émotion – et le mécréant de 74 ans que je suis a eu à nouveau les larmes aux yeux en lisant la fin de cet ouvrage.

Un trait de génie de l’auteur…

Car le lendemain, on découvre sur ce banc le corps d’ « un mendiant à barbe blanche volumineuse, aux traits inconnus et ravagés, aux membres amaigris, au costume étranger, que nul n’avait jamais aperçu, que nul ne reconnaissait, dont nul ne pouvait rien dire.

Il était mort. On le fouilla.

On ne trouva dans sa poche que cinq sous. »

Un an plus tard, je faisais ma première communion.

Ma foi, j’en suis certain, reposait beaucoup moins sur les heures de catéchismes, les prières et les messes qui m’avaient été imposées… que sur ma lecture ( et mes relectures fréquentes ) des Cinq sous du Juif errant.


Sa légende date du Moyen-Age, même si le moine Jean Moshos en fait déjà mention au VIème siècle dans son reuciel Le Pré spirituel. Le portrait du juif errant ( souvent nommé Ahasvérus ) a figuré dans bien des chaumières, il en existe autant de versions et d’interprétations que le mythique tableau de L’île des morts.

Et si tout commençait avec… le premier best seller français laïc du XIXème siècle ?

Je veux parler des Mystère de Paris, qu’Eugène Sue publia en 1842/43 en feuilleton dans le Journal des Débats. Un succès national que jalousèrent Balzac, Théophile Gautier, George Sand, Dumas… et même Flaubert ! Après ce roman populaire et socialiste, il fallut attendre Les Misérables ( 1862 ) pour concurrencer les centaines de milliers d’exemplaires des Mystères. Hugo n’a d’ailleurs jamais caché ce qu’il devait à l’ouvrage de son prédécesseur.


Dix ans plus tard, Jules Verne livre à son jeune public Le Tour du monde en 80 jours, sans doute inspiré d’une histoire vraie, celle de l’Américain George Francis Train.

Et ce Tour du monde va faire des émul : en 1894, Paul d’Ivoi ( et Henri Chabrillat ) publient Les cinq sous de Lavarède qui doivent à peu près tout au roman de Jules Verne : cette fois, ce n’est plus à la suite d’un pari que le tour du monde est entrepris… mais pour toucher un héritage ! La variante du pari de Philéas Fogg ( tour accompli en moins de 80 jours ) consiste cette fois à accomplir l’exploit en moins d’un an… avec seulement cinq sous en poche !


On le voit, les cinq sous commencent à apparaître. Avec un emprunt qu’il s’agit de révéler…

Parce que le premier ouvrage où il est question de cinq sous, ce n’est pas celui de Paul d’Ivoi… mais bel et bien celui du très oublié Aimé Giron qui publie ce roman destiné à la jeunesse en… 1887 !

Un récit catholique aux relents antisémites ( eh oui, c’est déjà dans l’air ! ) puisque l’ouvrage débute au cours de la Passion du Christ, où les Juifs n’ont pas le meilleur rôle ( une fois que Ponce Pilate a abandonné Jésus à la justice des sages de la synagogue, Aimé Giron écrit : Les Juifs poussèrent un hourra de satisfaction et applaudirent.

Dans sa préface, l’auteur conclut : « Maintenant, mes chers enfants, je vous prie de prêter attention à mon récit, de me tendre vos petites mains amicales et de me croire votre tout dévoué conteur, l’auteur du Sabot de Noël ». Aimé Giron fait ainsi sa propre publicité.

Bien sûr, le paternalisme de cet auteur fait sourire aujourd’hui. Mais il ne m’a pas choqué quand j’ai lu ce livre en 1955. Je venais en effet d’avoir en cadeau un roman de l’écrivain contemporain Georges Duhamel ( mort en 1966 ) . Son ouvrage ( de science-fiction ! ) pour la jeunesse Les voyageurs de l’« Espérance » était sous titré récit de l’âge atomique.

Il apostrophait ses lecteurs dès la première page :

« Vous m’écoutez très bien et j’en suis absolument stupéfait, car s’il s’agit de faire du bruit, vous montrez, mes chers petits-enfants, des dispositions admirables et de jolies facultés d’invention. » Plus loin, il ajoute : « Le plus beau cadeau que l’on puisse faire à un enfant, quand il sait lire, c’est de lui offrir un dictionnaire. » Hum !

L’histoire ne débute qu’après cette leçon de morale de trois pages que je lisais sans protester. C’était une autre époque !

Avec ses Cinq sous de Lavarède, Paul d’Ivoi aura plus de succès que son prédécesseur Aimé Giron. Mais à l’époque ( la fin du XIXème siècle ), il était de bon ton de mêler aventure, morale et religion. Quelques années auparavant, en 1880, l’Américain Lewis Wallace avait publié Ben Hur ( qui serait le roman le plus lu au XIXème siècle ! ) ; et plus tard, en 1895, l’écrivain polonais Henryk Sienkkiewicz publierait Quo Vadis – des best sellers qui feront la fortune des cinéastes !

Quant au thème de l’immortalité, il a toujours été synonyme de malédiction, y compris quand

le héros en est le « responsable volontaire »…

En publiant Tous les hommes sont mortels en 1946, Simone de Beauvoir avait-elle lu Les cinq sous du Juif errant ?


Lu dans sa seconde édition de… 1888, un livre de format moyen, toilé rouge ( comme de nombreux ouvrages de l’époque ! ), sur papier glacé très épais, avec des illustrations au trait d’Henri Pille.

CG

Lundi 04 novembre 2019

CARNAVAL NOIR, Metin Arditi, Grasset

Benedict Hugues, qui enseigne le latin médiéval à Genève ( et vient d’être muté à Fribourg ), achète ( pas très cher ) aux enchères un ouvrage du XVIe siècle. Il y découvre, caché dans le reliure depuis près de cinq siècles, une lettre, un « message confidentiel » destiné à un cardinal ami de le Congrégation des pèlerins ibériques. À mots couverts, il y est question d’une conspiration ( rien d’autre que l’assassinat du pape ! ) destinée à faire triompher la vraie foi, face au « lupanar qu’est devenue Venise » et au danger de la nouvelle Réforme qui progresse. Il y est aussi fait mention d’une hérésie récente, celle du « Christ aux douze doigts » : un nouveau prophète qui, dans un futur indéterminé, devrait rétablir la chrétienté authentique.

Douze doigts, c’est justement ce dont est pourvu Bartolomeo San Benedetto, un fanatique catholique qui dirige à Pré Vigne ( au canton de Vaud ) une congrégation chargée… de la même tâche. Cette nouvelle fondation des pèlerins ibérique projette en effet une série d’attentats, avec la complicité… des membres de Daesh ! Ces derniers, en effet, ont été recrutés pour poser des bombes et semer la terreur au Vatican, et pour assassiner un pape jugé trop laxiste.

Vous avez aimé Da Vinci Code ? Alors il se peut que vous soyez séduit par ce Carnaval noir, dont les premières pages, comme dans un vrai polar, relatent l’assassinat de Donatella. Cette jeune étudiante de l’université de Venise vient de mettre la main sur un document qui fait le lien entre la Scuola Grande et Copernic : la clé qui expliquerait le vide suspect existant entre la publication de son oeuvre majeure ( De revolutionibus… vers 1533 ) et la condamnation de Galilée en 1633. En effet, Metin Arditi s’étonne du silence de l’église qui, pendant un siècle, n’a que fort peu réagi à l’hypothèse héliocentriste de Copernic. La clé, ce seraient une série de meurtres ( y compris chez les papes ! ) pendant cette période, notamment ceux perpétrés pendant le carnaval de Venise de 1575, le fameux Carnaval noir – ce qui justifie le prélude du roman : le meurtre de Donatella retrouvée noyée dans la lagune…

Bien sûr, il n’y a jamais eu de « Carnaval Noir » !

Mais Metin Arditi, en écrivain habile et scrupuleux, utilise certains faits pour nouer ici une intrigue contemporaine qui mêle religion, prophéties et attentats – une façon de montrer que le fanatisme religieux peut revêtir plusieurs aspects, y compris l’étrange alliance contre nature des intégristes catholiques et musulmans !

Ce qui frappe dans ce « thriller religieux contemporain» ( paru en août 2018 ), c’est d’abord l’abondance de la documentation historique de Metin Arditi ; mais aussi l’articulation audacieuse ( et parfois très… limite ! ) entre des faits historiques avérés et d’autres, imaginaires. Si bien que le lecteur attentif, au fil du récit, ne cesse de rechercher ( sur Wikipedia et ailleurs ) ce qui relève de la réalité ici et là de la fiction !

L’action est trépidante, les chapitres courts et les personnages… très nombreux : un handicap qui peut rebuter le lecteur. Pour ma part, et comme à mon habitude, j’ai noté le nom et la fonction de tous les protagonistes… avant de capituler après avoir rempli deux pages !

Carnaval Noir est un roman à la fois passionnant et touffu –une plongée inédite dans la Venise du XVIe siècle et un univers contemporain où s’affrontent deux protagonistes ( Benedict Hugues et Bartolomeo San Bendetto ) à la personnalité attachante.

Lu dans sa version grand format, la « Blanche de Grasset », dont la couverture crème est protégée par une superbe jaquette bleue représentant le pont des soupirs.


CG

Lundi 21 octobre 2019

L’APPEL DU COUCOU, Robert Galbraith, Grasset

La jeune Robin, chômeuse, vient de se fiancer à Mattew ; elle trouve un emploi intérimaire de secrétaire chez le détective privé Cormoran Strike, qui est endetté et frôle la faillite.

Strike a 43 ans, est amputé d’une jambe et porte une prothèse. De plus, son amie de toujours, Charlotte ( une éblouissante beauté brune ) vient de le quitter – après de nombreuses brouilles successives - ce qui l’oblige à squatter son propre bureau, où il dort désormais.

Mais une nouvelle affaire pourrait le remettre à flot : John Bristow, le ( demi-) frère de la célèbre mannequin Lula Landry vient lui demander d’enquêter sur son décès. En effet, trois mois auparavant, Lula s’est jetée du balcon de son appartement ( un immeuble de luxe, sécurisé ) – sans nul doute un suicide, justifié par les disputes avec son ami du moment ( Evan Duffield, une vedette ! ) et sa nature instable et dépressive. Mais John Bristow n’y croit pas.

En effet, Tansy Bestigui, la voisine du premier étage, ( hélas accro à l’héroïne ) a entendu une dispute cette nuit-là ; et elle aurait vu quelqu’un pousser Lula depuis son balcon ! Difficile de croire ce témoin : sa chambre dispose d’un triple vitrage – et il gelait à – 10° cette nuit-là.

Strike enquête, superbement secondé par Robin : il contacte les proches de la victime :

  • une SDF black que Lula avait prise en amitié ( enfant adoptée, Lula était métisse et revendiquait ses origines africaines, aqu grand dam de ses parents adoptifs ! )

  • Ciara Porter, une collègue mannequin,

  • Evan Duffield, son ancien amant qui devait la retrouver ce soir-là – mais il dispose d’un alibi en béton.

  • sa mère biologique – et sa mère adoptive, en train de mourir d’un cancer.

  • Guy Somé, le grand couturier pour lequel Lula travaillait

  • Bryony, la maquilleuse de Lula.

  • L’époux de Tansy Bestigui, un producteur qui souhaitait faire tourner Lula avec…

  • Deeby Macc, un rappeur célèbre, et le futur nouveau voisin de Lula.

  • Kieran, le chauffeur de Lula, beau comme un dieu et qui espérait un rôle au cinéma.

Ce qui intrigue Strike ( et le lecteur ), ce sont ces deux inconnus ( des Blacks ? ) qui semblent fuir dans les rues de Londres à 1H30 du matin. Et aussi la présence d’une feuille de papier bleu sur laquelle Lula aurait griffonné quelque chose… un document qui a disparu.

Bref, l’enquête de Strike s’annonce longue et complexe – et elle passionne sa secrétaire au moins autant que lui.

Le détective aurait dû s’en séparer mais il finit par la garder, quitte à la payer au noir…

Robert Galbraith… cet auteur vous est inconnu ? Non, vous la connaissez : c’est le pseudo qu’a choisi J.K. Rowling pour sa nouvelle carrière après la fin de sa saga Harry Potter !

On sait d’ailleurs comment elle a échoué, en présentant un premier roman ( Une place à prendre ) à vingt éditeurs qui l’ont refusé. Une affaire qu’elle a livrée au grand public… et qui a fait du bruit, évidemment !

Par la suite, sous le nom de Robert Galbraith, J.K. Rowling a entamé une série policière dont L’Appel du coucou est le premier ( gros ) volume et Strike l’enquêteur récurrent. Le coucou en question est le surnom que donnait le couturier Guy Somé à sa mannequin préférée.

Que dire de J.K. Rowling en tant qu’auteur de roman policier ? Sincèrement ?

Pour ma part, j’en pense… le plus grand bien !

Est-ce parce qu’il s’agit d’un auteur jeunesse ? Force est de constater que son style ( sans effet, sans recherche, mais d’une excellente tenue, très classique ) est d’une grande efficacité. L’action avance, tout se succède sans effort, les personnages – très nombreux - sont typés et très attachants, les rebondissements nombreux – et parvenu à 100 pages de la fin, le lecteur est incapable de lâcher le bouquin, qui se révèle avant tout une sombre affaire de famille !

Bref, on ne s’ennuie pas une seconde et jamais on ne se perd dans les méandres d’une enquête pourtant difficile. De la belle ouvrage, comme on dit, de facture très classique.

Ah : si vous cherchez de l’horreur, de la violence, du sexe, des courses-poursuites et du sang… passez votre chemin. Ce n’est pas un polar mais un vrai roman policier, doté d’une vraie surprise finale. Les éléments livrés au fil du texte pourraient d’ailleurs ( si vous avez les talents de Sherlok Holmes ) vous permettre de découvrir le ( ou la ? ) coupable.

Gageons que vous n’y parviendrez pas et que vous serez aussi bluffé que moi.

Cette première enquête démontre avec éclat que J.K. Rowling est un écrivain authentique ( après Harry Potter, elle pourrait vivre tranquillement de ses rentes, non ? ) et le digne successeur ( désolé, le mot n’a pas encore de féminin, ; dommage ! ) d’Agatha Christie.

Lu dans sa superbe version grand format, chez Grasset ( 572 pages, 21,50 euros ).

Mais le livre est sorti en poche. Il existe deux suites aux enquêtes de Cormoran Strike – et une série est en cours de tournage.

Lundi 14 octobre 2019

LE MYSTERE HENRY PICK, David Foenkinos, Gallimard

Jean-Pierre Gourvec, bibliothécaire à Crozon, a créé la « Bibliothèque des refusés », où les écrivains peuvent venir déposer le manuscrit dont aucun éditeur n’a voulu ( envois postaux refusés ). A la disparition de Gourvec, sa secrétaire Magali gère le fonds : mille manuscrits.

Entre-temps, la jeune et dynamique éditrice Delphine Maspero est devenue la compagne d’un jeune auteur ( Frédéric Koskas ) dont les premiers romans publiés n’ont pas eu le succès escompté. De passage à Crozon, le couple déniche dans le fonds de cette Bibliothèque improbable un manuscrit qui se révèle une vraie perle : Les dernières heures d’une histoire d’amour, d’un auteur local improbable : Henri Pick, décédé depuis deux ans.

Or, à Crozon, Henri Pick était un pizzaiolo ordinaire, peu loquace, qui selon sa veuve Madeleine et sa fille Joséphine n’a jamais rien écrit de sa vie !

Publié à grands renforts de publicité chez Grasset, l’ouvrage devient un best seller.

Mais le mystère de son auteur demeure. Jean-Michel Rouche, un ancien critique littéraire du Figaro tombé dans l’oubli, va tenter d’éclaircir ce mystère…

David Foenkinos a livré ici un récit exceptionnel et passionnant !

L’air de rien, avec un humour et un détachement permanent, sans faux effet de style, il nous livre ici et là un parcours aux sentiers multiples, jalonné de nombreux personnages ( tous aussi attachants les uns que les autres ), un véritable puzzle littéraire aux enchevêtrements complexes, subtils, mais dans lequel le lecteur, ravi, ne parvient jamais à s’égarer – bref, une construction magistrale !

En même temps, l’auteur nous fait pénétrer dans les coulisses réelles de l’édition, puisque nous y croisons, entre autres, Michel Houellebecq, François Busnuel ( les lecteurs suivent La Grande Librairie ? ), Olivier Nora ( le patron de Grasset ) – mais aussi des personnages fictifs très vraisemblables : bibliothécaires, représentants, commerciaux…

Foenkinos partage l’intimité de chaque personnage, il nous relate son histoire, ses déboires – sans que ce soit jamais gratuit - … et le « mystère Henri Pick », dans sa deuxième partie, devient un véritable roman policier à rebondissements multiples, avec indices ( une carte postale d’Henri Pick, un ouvrage de Pouchkine avec des passages surlignés de sa main… ) dont le coupable ne nous sera livré que dans le dernier chapitre et même… à la dernière ligne, à l’issue de l’une des plus belles mises en abîmes littéraires qui soit !

Implicitement, il nous livre une clé littéraire qui m’est chère, ou : comment un petit événement, une décision imprévue, un coup de tête, peut bouleverser une… non, plusieurs vies, entraînant des déchirements, des séparations, et naissance de passions imprévues.

En même temps, le sujet de ce récit permet à Foenkinos de multiplier les traits d’humour ( page 194 : il commanda à son tour un verre de rouge et ils se mirent à parler sans le moindre blanc – l’a-t-il fait exprès ? ), les aphorismes et les métaphores.

Plus sérieusement, il nous affirme que notre époque mute vers une domination totale de la forme sur le fond ( p.154 ) puisque le « roman du roman » est en définitive plus passionnant que l’histoire qu’il raconte !

Il y a un moment où la joie des autres accentue votre désarroi, nous affirme-t-il page 228 avant d’affirmer ( page 318 ) : à part quelques auteurs, et pas forcément les meilleurs, plus personne ne vend(ait) de livres ( !)

Si vous devez en acheter un aujourd’hui, précipitez-vous sur celui-ci !

Lundi 07 octobre 2019

CHANGEMENT DE DECOR, David Lodge, Rivages Poche

Morris Zapp pourrait être un homme heureux : enseignant brillant et prétentieux à l’université d’Euphoria ( Etats-Unis ) spécialiste reconnu de Jane Austen, il est marié avec Désirée et père de trois enfants : Mélanie ( l’aînée, d’un mariage précédent ), Carol et Deirdre, des jumelles.

Mais son épouse, lasse de ses infidélités, veut divorcer… et toute l’université va l’apprendre.

Philip Swallow, lui, est un prof modeste, timide et sans avenir, père de Mattew et d’Amanda et fidèle à sa femme Hilary ; il enseigne sans spécialité dans la tristounette université de Rummidge ( Midlands, Angleterre ).

Pour échapper à sa situation familiale et au scandale d’un divorce, Morris Zapp accepte une permutation de six mois avec Philip Swallow… qui n’en revient pas de cette aubaine !

Philip découvre les joies et les avatars d’un logis prestigieux – mais instable, le terrain est glissant, au sens propre comme au sens figuré ! - et d’un monde étudiant libertaire en ébullition ( on est en 1968 , période révolutionnaire, manifs contre la guerre du Vietnam et marijuana ! ) De son côté, Morris se contente d’un environnement minable et de collègues très distants. Dans l’avion, il a fait la connaissance de Mary Makepeace, une jeune femme très séduisante ( mais enceinte ) – puis, évidemment, d’Hilary, la femme de son collègue.

Philip, lui, dans l’avion qui l’emmène en sens inverse, y retrouve un ancien ( très mauvais ) élève à lui, Charles Boon, qui semble très populaire et anime une émission de radio très provocatrice, le Boon Show

Cet échange universitaire improbable va être l’objet de quiproquos et de hasards comme seul David Lodge sait en provoquer ! Eh oui : chacun des deux héros va devenir l’amant de la femme de l’autre : après une nuit d’orgie improvisée avec Mélanie, le timide Philip va profiter d’un glissement de terrain pour squatter l’appartement ( puis le lit, puis la voiture ) de Morris Zapp. Morris, lui, va si bien s’adapter à cette université minable ( dont il espère remonter le niveau ) et s’entendre avec l’épouse de Philip… qu’il envisage de se faire nommer ici à titre définitif !

Dans ma critique d’Un tout petit Monde ( toujours de David Lodge ), j’avais promis à mes lecteurs de leur infliger prochainement une fiche concernant le volume qui précède - nous y voici. Et ce premier volet est au moins aussi distrayant ! Les situations les plus imprévues succèdent aux rencontres les plus cocasses. Et même s’il s’agit là de vieux ouvrages ( ils approchent le demi-siècle ! ), leur humour ravageur n’a pas pris une ride.

David Lodge s’amuse beaucoup : il va d’un de ses héros à l’autre, et truffe même son récit de séquences journalistiques, d’interviews pour achever son roman en forme de scénario de film, avec un mémorable dialogue à quatre, qui flirte hardiment avec le théâtre de boulevard. Sauf qu’on a ici affaire non plus à un trio mais à un quatuor.

Né en 1935, le Britannique David Lodge a été prof et universitaire. Il connaît bien les Etats-Unis. On retrouve sa ville imaginaire de Rummidge et le héros américain Morris Zapp dans Un tout petit monde ( déjà cité ) et dans Jeu de société, auquel mes lecteurs n’échapperont pas une prochaine fois !

Lundi 23 septembre 2019

CELUI QUI DESSINAIT LES DIEUX, Alain Grousset, Scrinéo

Dans la tribu de Zurg, le jeune Libhô est vite devenu l’ami de Taar, dont la charge est de dessiner des animaux sur les parois des grottes Ces animaux ( les dieux du titre ! ), les hommes vont devoir les affronter pour se nourrir de leur chair et confectionner des vêtements et des outils avec leur carcasse et leur peau.

Myope et malade, Taar avant de mourir, désigne Libhô comme son successeur. Lourde tâche ! Parce que si la chasse est mauvaise, c’est la faute du dessinateur qui n’a pas bien fait son travail. De plus, Libhô a un ( non : deux ! ) ennemis jurés, et pas n’importe lesquels : le chaman et son fils Urkam qui espérait être le successeur de Taar.

A la suite de mauvaises chasses, Libhô doit s’enfuir ; Sag, le chien du sorcier qui l’a adopté, l’accompagne – il le secondera utilement..

L’objectif de Libhô ? Rejoindre « la grande eau » et surtout la Grande Grotte superbement ornée, dont Taar lui a tant parlé. Une longue errance, au cours de laquelle il fera la rencontre de la jeune Maraa, qui sculpte des animaux dans du bois ou des os. Une raison de plus, pour le couple, de parvenir à cette mystérieuse caverne – un périple semé d’embûches…

Les romans préhistoriques pour la jeunesse sont devenus assez rares pour qu’on se penche sur celui-ci, dont l’action séduira les jeunes lecteurs ( de CM1 & CM2 en priorité ).

Mais ce qui frappe dans ce récit, c’est surtout la richesse et la précision de la documentation. Où, comment, pourquoi et de quelle façon s’y prenaient les artistes du paléolithique supérieur ( entre 45 000 et 12 000 ans ) pour orner les parois de leurs grottes ? Les réponses sont ici, dans cette double quête au cours de laquelle les héros devront affronter un incendie, une rivière en crue ( le Rhône ? ), des ours – et autres mauvaises rencontres.

Ce roman a les qualités d’un documentaire. Le lecteur y apprend dans le détail comment faire du feu d’une façon plus réaliste et précise qu’en frottant deux silex !

L’auteur, dans sa postface, remercie l’aide que lui a fournie Jean Clottes, un spécialiste de l’art rupestre, et l’abbé Nouel qui, autrefois, lui a donné le goût de la préhistoire.

Quant à la Grande Grotte, elle pourrait bien être la grotte Cosquer, aujourd’hui sous les eaux, mais autrefois au bord de la Méditerranée !

Lu dans son unique version ( l’ouvrage est sorti en mai dernier ), un joli moyen format au papier épais et à la typographie aérée. Pas d’illustrations – sauf celle de la couverture qui représente Libhô en pleine action sous le regard du chien Sag.

Lundi 02 septembre 2019

L’HUMANITE EN PERIL, Fred Vargas, Flammarion

Elle l’a fait !

On ne présente plus Fred Vargas.

Ici, après un vigoureux coup de gueule ( elle aurait préféré écrire un nouveau polar ) elle lance un cri d’alarme qui dénonce l’inaction des pouvoirs publics concernant le réchauffement climatique et l’exploitation aveugle des ressources de notre planète.

Docteur en archéozoologie, elle sait ce dont elle parle ; elle a peaufiné son sujet pendant des années ; elle livre d’ailleurs le détail de ses sources dans un long appendice de 400 références, pour la plupart accessibles sur Internet, invitant ainsi le lecteur à approfondir sa connaissance du sujet.

En préambule, elle rappelle et condamne les inégalités actuelles ( 82% de la richesse mondiale est détenue par 1% de la population ! ). Elle évoque la désinformation du public ( mais… peut-être préfère-t-il ne pas savoir ? ) concernant l’état calamiteux de la planète : le réchauffement climatique, certes, mais aussi la disparition des espèces, celle des métaux, de la plupart des terres rares ( indispensables à la fabrication des écrans, des smartphones ) ; l’acidité des océans que vide par ailleurs la surpêche ; la raréfaction annoncée de l’eau potable…

Faut-il dresser la liste de tout ce qui va bientôt manquer ?

En premier lieu l’eau et l’énergie ! Elle note que les politiques sont plus soucieux du futur immédiat ( quand ce n’est pas leur future réélection ! ) que de la survie de plus en plus improbable des générations futures.

Bref, c’est un cri indigné suivi d’une liste impitoyable de faits, de chiffres et de pourcentages, toujours justifiés et étayés.

Fred Vargas insiste sur l’eau, souvent gaspillée dans nos pays industrialisés, et utilisée ( à 70 % ! ) pour l’agriculture industrielle et l’élevage intensif, qu’elle condamne : eh oui, l’humanité élève… 24 milliards d’animaux destinés à notre folle consommation de viande.

Impitoyablement, elle passe en revue certaines denrées ( sucre, chocolat, café, soja ) et de nombreux thèmes ( le plastique, la forêt, les pesticides, l’huile de palme… le Coca Cola ! ) en étudiant de près la situation ( souvent au bord de la rupture ), et en dénonçant des scandales que sa propre enquête lui a fait parfois découvrir.

Fred Vargas nous interpelle sans cesse. Sa façon d’écrire : nous, les Gens, n’est pas sans rappeler certains discours de La France Insoumise – Fred Vargas ne cache pas ses opinions.

Consciente que cette litanie et ces chiffres risquent de lasser le lecteur, elle aurait programmé sur son ordinateur un logiciel chargé de l’interrompre dès qu’elle s’écarte de son sujet, évoque des problèmes personnels… ou devient grossière. Celui qu’elle surnomme son Censeur lui permet d’accorder ici ou là une respiration au lecteur, histoire de rythmer cet essai de brefs traits d’humour ( je vous rassure, il en est truffé, même si c’est souvent de l’humour noir ).

Ce logiciel, je n’y crois pas mais il permet au lecteur d’aller au bout de cette diatribe, achevée, par une dizaine de pages consacrées à des conseils.

Agir ? Sans aucun doute ! Mais comment ?

Déjà en diffusant ces informations le plus largement possible.

Ensuite en condamnant les lobbies et en boycottant leur marchandise.

Enfin, parallèlement, en changeant nos comportements ( elle dresse la liste de ce qu’il faut… ou faudrait faire ! ) car la survie de notre planète est en jeu.

Qu’ajouter ?

Qu’il s’agit là d’un pamphlet magnifique, indispensable à celles et ceux qui veulent des arguments pour forcer nos décideurs à prendre des mesures concrètes… et sans doute impopulaires. Dans son intervention du 23 juillet dernier, en présence de 150 députés, la jeune Greta Thunberg dénonçait les politiques de « faire semblant d’agir ».

A quoi bon voter des lois pour éviter de franchir le seuil de +2° si aucun pays ne les applique ?

L’humanité en péril devrait être mis entre toutes les mains – et ses informations devraient circuler dans les collèges, illustrant les photos de Yann Arthus Bertrand qui ornent souvent les murs et montrent à la fois les beautés de notre planète et les risques que nous courons de les voir définitivement disparaître… avant d’être à notre tour éliminés.

Le sous-titre, Virons de bord, toute ! nous invite à faire vite.

S’il y a un ouvrage à se procurer à la rentrée, aucun doute : c’est celui-ci.

Lu dans son unique version, sortie en mai dernier, un moyen format à la couverture bleue ( le fond ) blanche ( l’auteur ) et rouge ( le titre ).

250 pages, 15 euros – à acheter, à emprunter, à prêter, à faire circuler !

CG

Lundi 17 juin 2019

Récits d'un jeune médecin, Michaïl Bolgakov, L’âge d’Homme

1917-1920 en Russie puis en URSS…

Le narrateur ( en réalité, Boulgakov en personne ), jeune médecin de 23 ans qui n’a encore jamais exercé, arrive à l’hôpital de Mourievo, non loin de Gratchevka ( en réalité Nikolskoïe, près de Smolensk ), un lieu désert et déshérité. Il remplace Léopold Léopoldivitch, qui a laissé une magnifique réputation… et le médecin novice n’en mène pas large.

Serai-je à la hauteur ? ne cesse-t-il de se demander, car on le prend encore souvent pour un étudiant en médecine. Flanqué d’adjoint compétents et attentifs, un feldscher et deux sages-femmes, il doit affronter une série de cas souvent désespérés.

Le premier jour, il parvient à sauver ( en l’amputant ) la fille unique d’un veuf, « tombée dans la broie » et dont le corps inconscient lui est apporté en charpie – elle survivra !

Puis il doit affronter un accouchement « avec présentation transversale », lui qui n’a jamais assisté qu’à un seul accouchement ordinaire.

Fébrile, face à chaque nouveau cas, il rassemble ses souvenirs universitaires, les indications de livres dont il connaît le contenu par cœur… Mais passer à la pratique en urgence, c’est une autre paire de manche.

Il affrontera aussi une trachéotomie, pratiquée in extremis sur la petite Lidka qui en train d’étouffer…

Parfois, ses efforts sont vains et le patient meurt.

D’autres fois ( comme dans L’œil disparu ), il se trompe – et en explique, confus et coupable, le détail au lecteur.

Dans L’éruption étoilée, il doit se battre avec ses propres patients pour les convaincre qu’ils sont atteints de syphilis… et qu’ils contaminent leurs partenaires, pas simple.

Enfin, il arrive souvent que le malade comprenne mal la façon dont il doit prendre le remède prescrit… et qu’il avale tous les comprimés d’un coup alors qu’il doit en prendre un chaque soir. Aussi, en ce début de XXème siècle et dans ce lieu reculé, ses patients sont le plus souvent des paysans sans aucune instruction, qui font davantage confiance au guérisseur local qu’à ce jeune praticien.

Cette série d’anecdotes est suivie des Aventures singulières d’un docteur ( explicitement autobiographiques ) et d’une fiction courte et édifiante, Morphine, ou « le journal intime retrouvé d’un camarade devenu morphinomane » et qui, avec force détails, montre de jour en jour la terrifiante descente aux enfers d’un collègue prisonnier de l’accoutumance.

De Boulgakov, on ne connaît guère ( du moins… moi ! ) que Cœur de chien et son célèbre et édifiant roman Le maître et Marguerite, libre variation sur le mythe de Faust.

Ici, le narrateur nous fait entrer dans l’univers réaliste de sa jeunesse médicale, un autoportrait modeste et attachant, et la peinture d’une société paysanne arriérée : des gens souvent simples et bien intentionnés.

Le style est vif, efficace ; et le ton reste celui de la confidence, nuancé d’autodérision.

Certes, l’ouvrage est composite, mais l’ensemble de ces différents récits, comme nous le justifie le traducteur, possède une indéniable unité ; c’est la peinture unique d’une société en mutation, qui devra rapidement passer des superstitions du Moyen-Age au réalisme scientifique…

Dans L’œil disparu, le narrateur ( qui note scrupuleusement ses consultations chaque jour ) additionne toutes celles qu’il a dû donner : en une année, j’avais examiné quinze mille six cent trente malades. J’avais eu deux cents hospitalisés et il ne m’en était mort que six. 

Des chiffres authentiques ( très exactement 15 631 ), comme l’attestent les documents officiels du médecin Mikhaïl Boulgakov…

Soit 43 ou 44 consultations par jour.

Etonnés ?

Ces chiffres approchent pourtant ceux de notre actuel médecin de campagne généraliste.

Il est toujours à la recherche d’un collègue… ou d’un remplaçant.

S’il y a des volontaires parmi mes lecteurs, ils sont les bienvenus !

CG

Lundi 10 juin 2019

COLETTE, libre et entravée, Michèle Sarde, Stock/Points Seuil

Interrogé sur mes auteurs de prédilection, je cite Flaubert, Proust, Virginia Woolf, John Le Carré, Ken Follett, Hugo, Stendhal, Shakespeare, Molière, Racine, Maupassant…

Et j’oublie Colette.

J’ai honte.


Colette, je l’ai découverte à seize ans grâce à ma future épouse qui en était une fan absolue ! C’est elle qui m’a prêté l’intégrale des Claudine, les Dialogues de bêtes, La Chatte, Le blé en herbe ( et Chéri ! ), Sido, Le fanal bleu, Pour un herbier

Colette ? J’en suis devenu ( comme de Giono, à la même époque ) un inconditionnel.

Après l’avoir lue en poche, je me suis procuré l’intégralité ( ou presque ) de son œuvre dans une belle collection : un triptyque toilé bleu, une édition de luxe, numérotée et illustrée par Victor Brauner.


Je me souviens que sa maison de Saint Sauveur en Puisaye a été mise en vente ( 245 000 euros ) en 2007… Or, la maison de Colette ( et surtout de sa mère Sido ), c’est la moitié de toute sa littérature  et une ambiance très particulière, visuelle, olfactive, sentimentale et sonore ( Où sont les enfants ? )

Bref, j’avais lu dans ma vie quatre biographies de Colette… et voilà que je suis tombé, il y a quelques jours, sur une biographie ( de 1984 ) que je ne connaissais pas : la réédition d’un ouvrage de Michèle Sarde publiée chez Stock en 1978 ! Et c’est, de loin, la meilleure…


Pourquoi ?

* D’abord grâce à la richesse de la documentation et des références.

* Ensuite, grâce aux nombreux extraits dont l’auteure nourrit les différentes époques de son héroïne. En effet, quand Colette met en scène Claudine ( et la plupart de ses héroïnes ultérieures ), elle ne fait que piocher dans sa propre enfance en utilisant des personnages et des faits réels… et en changeant les noms ( des personnes que Michèle Sarde identifie sans mal et sans erreur possible ! ).

* Enfin grâce à un style dont l’efficacité et la richesse rappellent sans aucun doute ceux de Colette elle-même !

Surtout, Michèle analyse avec finesse et pertinence les influences subies par la jeune Gabrielle : sa mère en priorité et son paganisme affirmé ; son père ( le capitaine unijambiste Jules Colette ) dont le désir d’écrire est toujours resté vain ; le jardin, les animaux – et l’époque ( pas si belle qu’on le croit ) : 1900, où dominent le paraître et la femme, à la fois asservie et objet de désir. Michèle Sarde nous offre de superbes diatribes qui expliquent et justifient qu’à 17 ans, Gabrielle se soit mariée avec le pire bellâtre qui soit : Willy, la coqueluche de tout Paris, Willy qui n’avait que des nègres et qui, de toute sa vie, n’a jamais écrit qu’un seul livre : son « livre de comptes » !


Dans la vie de la future Colette, Willy n’aura eu qu’un seul effet bénéfique : suggérer à sa jeune épouse de relater ses souvenirs d’enfance : des cahiers de 650 pages qu’il reléguera d’ailleurs dans un tiroir, ne sachant qu’en faire, jusqu’à ce qu’il les relise deux ans plus tard en s’écriant soudain : Nom de dieu… je ne suis qu’un con !

Ajoutons au passage que Willy était un coureur invétéré, un antidreyfusard et un homophobe convaincu… j’en passe ! Mais soyons juste : à l’époque, c’était monnaie courante. Au détour d’une page, on découvre par exemple que la consigne d’Edmond de Goncourt ( auteur du fameux Prix ) était au départ : Pas de Juif, pas de femme ( sic ! )

Cette biographie est à la fois un roman ( sauf… que tous les faits sont authentiques ) et l’analyse de plusieurs époques… où les hommes n’ont jamais le beau rôle.

Discutable, la technique de Michèle Sarde consiste à nous relater la vie de Colette au moyen de longs extraits de ses romans, nous suggérant ainsi que la plupart de ses héroïnes… c’est elle.


Elle prête ainsi à sa jeune Claudine, à Renée ( dans l’Entrave ), etc. des pensées, des actions et des réactions qui sont la copie conforme de ce que Colette a fait ou pensé.

Elle truffe également son ouvrage de réflexions très pertinentes ( et approfondies ) sur la condition – déplorable – de la femme au début du XXe siècle, l’homosexualité féminine, etc.

Sa documentation, très large, se nourrit notamment de nombreux autres ouvrages sur Colette, de thèses universitaires et de courrier.


Mariée à17 ans à Willy, la jeune Gabrielle en sera le jouet (nègre littéraire, épouse discrète, muette et méprisée ) pendant dix ans avant sa révolte… qui la jettera à la fois sur les planches ( il faut bien vivre car c’est Willy qui touche les droits d’auteur des Claudine !! ) et dans les bras de Missy, sa protectrice. Une nouvelle décennie pendant laquelle elle survit difficilement – elle en décrira plus tard les avanies dans L’envers du music hall… une période que mes propres parents ont connue dix ans après Colette !


Elle relate enfin sa rencontre ( rocambolesque ! ) avec le journaliste Henri de Jouvenel ( dit Sidi ou Pacha ), son futur deuxième époux, et une carrière peu convaincante dans le journal Le Matin ( évoquée par Colette dans son « livre de souvenirs » L’Etoile Vesper ) dont Jouvenel était le rédacteur en chef. Là encore, elle resta toujours « l’ombre de son époux » ( volage lui aussi ! ) dans ce milieu essentiellement masculin.


La naissance, à quarante ans, de sa fille Bel Gazou en 1913 et des années de guerre pleines d’attente et de solitude. La guerre, écrit Michèle Sarde ( p. 376 ), fit d’elle une femme vieillissante, alourdie ; et à nouveau trahie.

Oui : elle quittera Henri quand elle se saura trompée et que ce dernier se lancera dans la politique, un milieu qui lui est encore plus étranger que le journalisme !


En 1920, après avoir écrit le prémonitoire Chéri ( tout ce qu’on écrit arrive ! avait-elle prédit dans La naissance du jour ! ), elle entame cette « scandaleuse liaison » ( elle a 47 ans ) avec le jeune Bertrand de Jouvenel ( il en a 16 ! ), premier fils de son futur ex époux – avant de publier en 1923 Le Blé en herbe. Je ne songe jamais à la différence d’âge (…) pas plus qu’à l’opinion des imbéciles, écrira-t-elle dans La naissance du jour


Années difficiles, tant sur le plan sentimental que pécuniaire, où elle partage sa vie entre la scène, le journalisme et l’écriture. Elle rencontre en 1925 Maurice Goudeket qui sera son troisième et dernier mari ( elle ne l’épousera qu’en 1935 ! ).


S’ensuit une période plus sereine, malgré ( eh oui ! ) une gêne financière quasi permanente : entre les deux guerres, Colette reste un écrivain d’origine petite-bourgeoise qui vit de sa plume, difficilement ( p. 422 ). Elle s’en console avec ses correspondantes fidèles : Hélène Picard, Renée Hamon et surtout Marguerite Moreno ( lisez le livre de leurs échanges épistolaires ! )


Colette mourra paisiblement ( en 1954 ), dans son appartement qui donnait sur les jardins du Palais Royal, après la déportation de son mari juif relatée ( p. 452/453 ) de façon magistrale et émouvante par Maurice Goudeket. Ses funérailles seront l’objet d’honneurs nationaux, même si, comme l’affirmait Benoîte Groult, Colette n’est pas à sa vraie place dans la littérature.


On peut faire deux reproches à l’auteur de ce « Colette » : prendre le parti exclusif de son héroïne et mêler de façon trop intime les extraits de ses œuvres, suggérant par là que le personnage féminin est toujours Colette elle-même. Reproches que l’auteure s’adresse à elle-même dans sa postface, reproches facilement balayés par la qualité et le dynamisme d’une biographie hors pair, d’un féminisme militant et assumé.


Lu conjointement dans ses deux parutions successives : sa publication d’origine, rose et cartonnée, chez Stock ( avec, au centre de l’ouvrage, 16 superbes pages de photos en noir et blanc ! ) et son épais livre de poche, où ne figure pas hélas la chronologie détaillée de Colette version Stock.

CG

Lundi 27 mai 2019

MEMOIRES MORTES, Patricia Cornwell, Editions du Masque

Deuxième enquête de Kay Scarpetta, médecin légiste en Virginie ( U.S.A. ) !

Cette fois, l’héroïne de Patricia Cornwell ( et son collègue macho Marino ) travaillent sur le meurtre sauvage de l’écrivaine Beryl Madison, qu’un(e) inconnu(e) menaçait de mort depuis plusieurs semaines, et qu’elle a visiblement laissé entrer chez elle sans se méfier. Bizarre !

Ah… il faut savoir que la victime travaillait à une longue autobiographie qui risquait de mettre en cause un autre écrivain, Cary Harper, qui l’avait recueillie et coachée alors qu’elle était encore très jeune. Entre-temps, ce fameux Cary Harper, devenu célèbre pour avoir publié un chef d’oeuvre… était devenu incapable de publier le moindre autre livre ! Cary Harper vit avec sa sœur, Sterling, une vieille dame qui avait beaucoup d’affection pour Beryl.

Mais voilà : les proches de Beryl sont assassinés ( ou… se suicident ? ) à leur tour – et Kay ne dispose que de maigres indices, notamment une fibre de tissu dont l’origine, pense-t-elle, pourrait lui livrer le métier ( et les mobiles ? ) du meurtrier.

Sa quête va l’entraîner jusqu’à Key West, célèbre ville balnéaire de Floride où Beryl a sans doute achevé l’écriture de cette autobiographie, un manuscrit devenu introuvable !

Et surtout un récit que Cary Harper aurait donné cher pour lire – et en différer la publication.

Avec ce deuxième opus, Patricia Cornwell persiste et signe un polar scientifique haletant, sur fond d’écrivains, d’écriture et de vilains secrets de famille. Le seul reproche qu’on pourrait faire à ce polar serait… le fait que sa structure soit presque une copie conforme de Postmortem ! Y compris ( et surtout ) pour la fin, une confrontation haletante et sanglante de l’enquêtrice avec le meurtrier enfin découvert.

Ce serait là un reproche bien mince, parce que la machine fonctionne magnifiquement : fausses pistes, meurtres successifs, suicides suspects… le lecteur reste en haleine jusqu’au bout, suivant pas à pas cette narration ( et cette quête, voyages compris ) dont la logique est parfaitement respectée. On sait que Patricia Cornwell avait un modèle : Agatha Christie. Comme dans les romans de cette dernière, le lecteur dispose des mêmes indices que l’héroïne. Ici apparaît un homme qui a joué un grand rôle dans la vie affective ( déjà tumultueuse ! ) de Kay Scarpetta : Mark James, qu’elle a aimé, quitté… et qu’elle aime encore ! Son rôle dans ces Mémoires Mortes ( à noter le double sens du titre, fort bien trouvé – le roman s’appelle Body of evidence ) sera trouble jusqu’au bout.

Lu dans sa version d’origine, un grand format des Editions du Masque, de couleur jaune avec son fameux « loup » noir dont un œil est traversé d’une plume – autrefois, un livre de poche dans lequel je découvrais les romans policiers dans les années soixante.

Anecdote : cet éditeur fut le premier, en France à ne publier que des romans policiers. Avec, en 1927, l’un des meilleurs ( à mes yeux ) romans d’Agatha Christie, Le meurtre de Roger Acroyd.

CG

Lundi 20 mai 2019

COMMENT TOUT PEUT S’EFFONDRER, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Le Seuil ( Anthropocène )

La collection de cet ouvrage donne le ton : l’Anthopocène, c’est l’ère ( sans doute fort brève ) dans laquelle l’humanité semble s’être engagée : une progression rapide et mortifère dans beaucoup de domaines : croissance incontrôlée, économie libérale sans frein, surpopulation, utilisation immodérée de toutes les énergies non renouvelables, pollution, destruction des milieux naturels… la liste est longue. Le sous-titre est également éloquent : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes.

L’objectif avoué : montrer et démontrer que sur notre planète, tous les voyants sont au rouge. Comme ne cesse de le répéter Nicolas Hulot : nous fonçons droit dans le mur avec, dans un avenir proche, de nombreuses catastrophes annoncées : cracks financiers, famines, conflits… puis avant la fin du siècle la disparition du pétrole, trop coûteux à exploiter.

Et dans quelques générations la fin de l’humanité, en raison d’un réchauffement climatique désormais incontrôlable.


On va me rétorquer : et il faut lire cet essai catastrophiste ?

Oui. Ne serait-ce que pour comprendre comment on en est arrivé là.

Les signes annonciateurs étaient pourtant là depuis très longtemps !

Certains les avaient supputés dès le XIXe siècle.

Mais en 1972, avec le Rapport du club de Rome ( Halte à la croissance ! ), les experts du MIT ( Massachusetts Institute of Technology ) affirmaient, au vu de la diminution des ressources et de la dégradation de l’environnement, donner soixante ans au système économique mondial pour s’effondrer.

C’était écrit noir sur blanc.

Ce qui suit n’est pas un extrait de l’ouvrage Comment tout peut s’effondrer, mais de Médiapart, dont les conclusions sont identiques au pronostic des deux auteurs de cet essai.

Je n’en change pas une virgule 

(https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-baquiast/blog/080412/1972-2012-le-club-de-rome-confirme-la-date-de-la-catastrophe)

« L'effondrement pourrait se produire bien avant 2030.

Autrement dit tous les projets envisagés pour le moyen terme de 10 ans seraient impactés, voire rendus inopérants. Les rapporteurs font cependant preuve d'optimisme, en écrivant que si des mesures radicales étaient prises pour réformer le Système, la date buttoir pourrait être repoussée. Rien ne sera fait mais nous devons pour notre part considérer, y compris en ce qui concerne nos propres projets, collectifs ou individuels, qu'aucune de ces mesures radicales ne seront prises. Le système économico-politique, selon nous, ne peut se réformer. Ce sont en effet les décisions des gouvernements, des entreprises et des médias qui convergent pour que tout continue comme avant, business as usual, ceci jusqu'au désastre. Une petite preuve peut en être fournie par le fait que pratiquement aucune publicité n'a été donnée par aucun des acteurs que nous venons d'énumérer à la publication de cette seconde version du Rapport. 

Insistons sur le fait que ce n'est pas seulement le réchauffement global qui est incriminé par les rapporteurs, mais plus généralement l’épuisement des ressources et, au-delà, d’une façon plus générale, le saccage catastrophique de l’environnement sous toutes ses formes, autrement dit “la destruction du monde”.

Pour l'empêcher, il ne faudrait pas seulement réduire notre production de gaz à effets de serre, mais s'imposer une décroissance radicale, à commencer par celle qui devrait être mise en oeuvre dans les pays riches, qui sont les plus consommateurs et les plus destructeurs. »

On peut toujours affirmer : ces avertissements sont ceux d’amateurs pessimistes, de gens peu dignes de confiance ! Que risquons-nous à continuer comme avant ? Avec les progrès de la science, on finira par trouver une solution.

Hélas, ces avertissements sont ceux, répétés par l’appel des 15 000 : des scientifiques précisément, qui affirment qu’aucune solution n’existe – sinon celle de prendre au plus vite des mesures planétaires ( stopper net la production et la consommation d’énergies fossiles, p. 129 ) sans commune mesure avec des revendications concernant la baisse des taxes ou la hausse de notre pouvoir d’achat !

Il n’est plus question de « sortir de la crise », ni même de nous accommoder d’un « déclin ».

Sans action immédiate et efficace, c’est à un effondrement qu’il faut s’attendre.

Ce qui a provoqué cet état de fait ?

Sans doute les inégalités ( cf Comment les riches détruisent la planète, essai d’Hervé Kempf ), la consommation ostentatoire ( page 162 ) dénoncée par le sociologue Thorstein Veblen. Ou, pour résumer : la structure même du capitalisme ( p. 164 ), comme l’affirme l’économiste Thomas Piketty,

CG

Mercredi 08 mai 2019

MALAVITA, Tonino Benacquista, Gallimard

Malavita

Les Américains Frederick Blake, son épouse Maggie, leur fille Belle ( 17 ans ), leur fils Warren ( 14 ans ) et leur chienne (Malavita, un bouvier australien ) emménagent dans le village normand de Cholong-sur-Avre.

Le père, Fred, est un maffieux de la Cosa Nostra, un repenti condamné à mort par ses pairs qu’il a trahis. Face à leur nouvelle maison vivent des policiers ( d’origine italienne ) chargés de leur sécurité. Les Blake, eux, sont d’origine sicilienne, ils vivaient dans le New Jersey. Et ce n’est pas la première fois, hélas, qu’ils déménagent ! Ils se sont successivement réfugiés à Paris et à Cagnes-sur-Mer ; mais les maladresses de Fred les obligent à changer régulièrement d’identité et de domicile.

Pas simple pour eux, de s’intégrer dans ce bourg où les Ricains ne sont pas forcément les bienvenus. Ils font pourtant des efforts, en invitant leurs voisins à un barbecue mémorable ! Maggie, qui culpabilise, va œuvrer dans les associations caritatives. Belle, qui porte bien son nom, fait très vite des ravages parmi les garçons du lycée. Warren, très nostalgique de son pays et de la Maffia, est d’abord racketté, et va se rendre indispensable auprès des camarades de sa classe – son rêve est de devenir un vrai maffieux, comme papa.

Fred, lui, s’ennuie ferme. Mais voilà qu’il découvre dans la véranda une vieille machine à écrire. Séduit, il se met à rédiger ses mémoires – et il en a, à raconter !

Hélas, ce statut improvisé d’écrivain va le rendre populaire et célèbre dans le village.

Bientôt, on fait appel à lui pour être l’invité du ciné-club à l’occasion de la projection d’un film américain. Très dangereux, puisque les Blake doivent être le plus discrets possible !

Mais Fred ne résiste pas aux sirènes de la célébrité…

Le fait est assez rare pour que je l’évoque : c’est en voyant pour la première fois le film Malavita que je me suis dit : mais je l’ai, ce bouquin ! Et je ne l’ai pas encore lu !

J’ai donc film, excellent ( Robert de Niro dans le rôle de Fred, alias Giovanni Manzoni, est LE personnage par excellence ! ) et le lendemain, je me précipitais sur le livre, pour passer trois ou quatre heures encore plus mémorables

Parce que l’auteur du roman est Tonino Benacquista, dont j’avais dévoré et adoré SAGA ( j’ai acheté six ou sept fois ce livre pour l’offrir ! ). Et la lecture de Malavita est un vrai régal ! Comme quoi ce n’est pas parce qu’on a vu un film et qu’on en connaît la fin que la lecture est superflue, bien au contraire ! À ce sujet, une parenthèse : le film est d’une fidélité remarquable au récit. Télérama déplore la fin ( le village est mis à feu et à sang, une version normande de Bonnie and Clyde… ) mais elle est pourtant strictement conforme à celle du livre ( un dernier chapitre discutable mais original, puisqu’elle est relatée par Giovanni lui-même, sur sa machine ! ).

Les portraits sont hauts en couleur – dans le film, le portrait de Maggie est un peu plus effacé que dans le livre – et, une fois encore, c’est la façon de raconter l’intégration délicate de cette famille américaine dans un village français qui fait tout le sel de Malavita.

Benacquista maîtrise son sujet : il connaît l’Amérique, la maffia… et surtout l’Italie, le roman est truffé de recettes savoureuses et typiques.

Au fait, pourquoi Malavita ? Eh bien c’est le « Brazil »  du livre ( le film Brazil porte un titre qui n’a rien, mais rien à voir avec l’histoire qui est racontée… sauf que la chanson y est diffusée pendant une minute durant la projection ! ). Oui, Malavita, c’est la chienne, dont le rôle est mineur, elle apparaît à quatre ou cinq reprises dans le récit – un bref paragraphe à chaque fois. Mais Malavita, c’est en italien la mauvaise vie.

Et à cet égard, le titre se justifie.

Au fait… il y a une suite : Malavita encore. Chouette, je ne l’ai pas encore lue !

CG

Lundi 29 avril 2019

L’ODEUR DU JOUR, Danielle Martinigol, Hachette romans

L'odeur du jour

Lilith ( dite Lili ) est une flaireuse. Eh oui, elle a un don : au réveil ( et même dans la journée ), elle sent, au sens propre, l’odeur des catastrophes ou des événements heureux. Ce jour là pue à plein nez. Et pour cause sa prof préférée, Anne-Judith Blanche, que la plupart des élèves aimaient aussi, a péri dans un attentat. Sa voiture écrasée par l’explosion de l’ambassade d’Indonésie. C’est aussi le jour où Lilith va changer d’amie, s’éloigner d’Océane pour se rapprocher de la belle et sportive Angèle Pontair ( dite Angie ), dont la réputation est pourtant sulfureuse – ses parents ne vont pas apprécier. A son don de flaireuse s’ajoute chez Lilith sa capacité à voir des êtres…. qui n’existent pas – ou plutôt que personne d’autre ne voit… sauf Angie ! Avec un étrange décalage : elles voient le même garçon, brun pour Lilith et blond pour Angie. Euh… et s’il y en avait deux ? Et si ces apparitions fort à propos étaient là pour les éclairer sur le décès très suspect de leur prof ?

Les deux filles se rendent clandestinement sur le lieu de l’attentat et elles font la connaissance d’un jeune gendarme, Alban, qui va leur faire quelques confidences…

Danielle Martinigol inaugure un genre littéraire nouveau : le polar fantastique. On me dira qu’Edgar Poe l’a précédée mais on est en 2019 et le langage des deux lycéennes n’a rien, mais rien à voir avec celui de l’inventeur du roman policier !

Car L’odeur du jour est au départ un vrai roman policier, dans une ambiance de collège rendue de façon réaliste et très couleur locale ( bon, Danielle a été prof et très proche de ses élèves… et là, on est tout de suite dans le bain ! ). Les adjuvants sont… des fantômes, muets qui laissent aux jeunes enquêtrices des indices ( très bizarres ) à décoder, dans une ambiance ambiguë qui n’est pas sans rappeler Le 6ème sens.

À la moitié du récit, le lecteur bascule car les nombreux événements parfois peu clairs de la première moitié prennent soudain leur place. L’odeur du jour se révèle alors peu à peu un énorme puzzle dont les pièces, jusqu’au bout, vont se rassembler et s’ajuster, qu’il s’agisse du véhicule dans lequel la prof a péri, l’étrange titre du manuscrit retrouvé dans le coffre et dont elle est l’auteur ( une autobiographie ? Costume de lin, costume de sang ) ou des nombreux personnages que des liens étroits relient… Si, si : j’ai pris des notes et ça colle !

Les deux fantômes existent bel et bien. Et ils ont d’excellentes raisons pour apparaître.

Quant aux mystères ( familiaux, professionnels ) entourant Anne-Judith, ils sont résolus jusqu’au dernier !

Outre l’architecture ( plus complexe qu’il n’y paraît ) de ce roman, ce qui frappe, c’est l’aisance avec laquelle Danielle Martinigol ( née en 1949 ! ) se met dans la peau de son héroïne de 16 ans : Lilith dit JE et relate son enquête au présent.

Je reste en effet bluffé par le langage utilisé, directement pioché dans la cour des collèges ou des lycées, au point que ( je dois l’avouer ), je n’ai pas toujours tout compris !

Pages 168/169, par exemple, j’ignore ce qu’est le verbe maraver : « marave ce connard ! » et j’ai du mal à décoder la réplique de Paulin : « T’as le droit d’avoir un crush pour un zombie si la nécro c’est ta cam ! »

Plus bas, Lilith répond à Paulin et aux élèves :  « Vous tous, là, les poucaves qui me surkiffent ! » En revanche, j’ai très bien compris ( page 196 ) le verbe « textoter » ( bien trouvé ! ) qui, je crois, n’a pas encore été validé par l’Académie

Ce roman offre à mes yeux une progression qui peut surprendre : il débute comme un récit facile et distrayant destiné aux collégiens, au rythme vif, parfois endiablé, et il gagne peu à peu en gravité, en densité, pour s’achever sur les conclusions d’une enquête d’envergure internationale ( conflits intérieurs indonésiens, Pérou, Amazonie… ) dignes d’un John Le carré et à sa Constance du jardinier.

Un décalage ? Un grand écart ?

Quoi qu’il en soit, les jeunes ( et moins jeunes ) lecteurs auront de quoi s’y retrouver !

Lu dans son unique version, un joli moyen format à la couverture attrayante et énigmatique.

CG

Lundi 15 avril 2019

L’ABYSSIN, Jean-Christophe Rufin, Gallimard

L'Abyssin

1699, au Caire ( Egypte ).

Louis XIV fait savoir au consul, M. de Maillet, qu’il souhaite établir le contact avec le Négus, souverain d’Abyssinie. Or, le pays est impénétrable : peu de ceux qui s’y sont risqués en sont revenus. Et les Jésuites qui ont tenté d’évangéliser la population y ont été… très mal reçus !

Qui envoyer là-bas pour tenter d’y installer une ambassade ?

On sait que le Négus est malade, d’un mal inconnu.

Le choix ( de M. de Maillet ) se porte donc sur un jeune et pauvre apothicaire ( celui qui soigne avec succès le pacha du Caire ) : Jean-Baptiste Poncet, qui a un ami et collègue très cher : Juremi. Ce dernier est protestant, ce qui est fort mal vu à l’heure où le roi vient de révoquer l’Edit de Nantes !

En se rendant chez M. de Maillet qui l’a convoqué, Jean-Baptiste aperçoit ( pour la deuxième fois ) sa fille, Alix, dont il tombe éperdument amoureux. Au cours des nombreuses autres visites qui précéderont son départ,  il devine qu’elle n’est pas indifférente à ses sentiments !

Aussi, il n’accepte de partir pour l’Abyssinie qu’avec un seul espoir : s’il réussit sa mission et revient ( il l’espère ! ) avec le grade d’ambassadeur, il pourra espérer demander sa main.

Pas si simple…

Déjà, on lui refuse la compagnie de Juremi.

Et son voyage, flanqué d’une impressionnante escorte, est semé de mille embûches…

L’Abyssin n’est pas le premier ouvrage de J.C. Rufin, mais c’est son premier roman.

Il deviendra vite un best-seller – mérité !

Le récit est en effet passionnant, documenté de façon étonnante, et rédigé ( dans le style du grand siècle finissant ! ) avec une truculence et un allant qui raviront le lecteur.

Médecin, neurologue, pionnier de Médecins sans frontières, Rufin connaît bien l’Afrique de l’Est, notamment l’Erythrée ( il y deviendra le directeur médical d’ACF ) et l’Ethiopie, où il rencontrera et épousera Azeb.

Sa connaissance du terrain lui permet de relater avec un réalisme stupéfiant l’odyssée de ce découvreur de l’Afrique, un bon siècle avant René Caillé et Livingstone !

Ses connaissances en histoire et en religion permettent au lecteur de se familiariser avec les luttes intestines des envoyés de Louis XIV en Afrique, où les Jésuites et les Capucins sont souvent rivaux. Le héros, catholique non pratiquant et très tolérant, doit user de mille ruses ( combats, fuites, déguisements ! ) pour parvenir à ses fins, sur le plan diplomatique… et sentimental !

Depuis la saga de Robert Merle ( Fortune de France et la suite ), aucun roman historique ne m’a autant bluffé. On a, pour le style de L’Abyssin, évoqué Diderot. J’y ajouterais volontiers Dumas pour les péripéties pleines de rebondissements !

Pour la petite histoire, nous avons eu la chance, Annette ( mon épouse ) et moi, de passer une semaine entière en Guadeloupe avec J.C. Rufin, son épouse et leurs deux filles, à l’occasion du Salon du Livre de Pointe-à-Pitre, en avril 2 000. A l’époque, il achevait la rédaction de Rouge Brésil, qui décrocherait le « vrai » Goncourt ( L’Abyssin a eu le… Prix Goncourt du premier roman ! ). Je ne sais plus si j’ai déjà fait une fiche sur Rouge Brésil, mais la lecture de L’Abyssin me laisse une impression grandiose.

Pour un coup d’essai, c’était un coup de maître – et l’avenir de J.C. Rufin serait assuré, aussi bien dans le domaine littéraire et médiatique que… diplomatique !

D’une certaine façon, ce sympathique Jean-Baptiste, herboriste confirmé et explorateur en herbe, est un double rêvé de Jean-Christophe !

Vous avez raté L’Abyssin à sa sortie, en 1997 ?

Quelle chance ! Vous allez pouvoir le découvrir, le dévorer et vous régaler !

Lu dans sa belle version d’origine, dans la Blanche.

CG

JC Ruffin

PHOTO prise le 15 avril 2000 au Salon du livre de Pointe à Pitre,

Déjeuner en tête à tête avec Jean-Christophe Rufin ( qui écrit Rouge Brésil ), son épouse et leurs deux filles.

Lundi 08 avril 2019

LE JOURNAL D’AURORE, Marie Desplechin, L’Ecole des Loisirs

Test

Aurore est en troisième. C’est une élève médiocre, laide ( elle en est sûre), pessimiste et mal dans sa peau.

D’ailleurs, elle titre son premier journal intime ( il y en aura deux autres ) JAMAIS CONTENTE.

Sa sœur aînée ( Jessica ) a 18 ans ; elle sort en boîte, se fait faire un piecing sur la langue et fréquente Vladouch, un étranger marié avec deux enfants !

Elle a aussi une sœur cadette, Sophie, désespérément brillante en classe, un papa ( portier d’hôtel ) assez indifférent et une mère qui ne s’intéresse à elle que pour la critiquer.

Elle a aussi une mamie indulgente et bouddhiste, et un papi sourd et hypersomniaque.

Elle a enfin :

  • une camarade musulmane ( Samira ), dotée de cinq frères beaux comme des dieux.

  • une amie fidèle, Lola ( aux parents divorcés, quelle chance ! ), qui cumule deux avantages : elle habite l’immeuble d’en face et a un beau-frère très séduisant qui se prénomme Marceau, un prénom de boulevard des Maréchaux.

Mais Aurore n’a ni portable, ni copain.

Enfin, pas encore...

Elle est très attirée par Marceau ( mais Lola l’a avertie : Marceau, c’est tabou ! ).

Puis par Julien, rencontré sur la plage… avant qu’elle n’entame tristement sa « deuxième Troisième » !

Pour la dérider, ses grands-parents lui proposent de venir s’installer chez eux.

Mauvaise pioche : Aurore note, le 16 octobre :

Ma vie chez mes ancêtres est un tel marécage de nullité que j’étais furieusement contente d’aller déjeuner dans mon ancien foyer.

Un peu d’animation en perspective. Et au moins, ma mère ne chantonne pas.

Bref, elle a envie de passer une petite annonce du genre :

Jeune fille seule comme un rat, affligée d’un physique monstrueux et d’une famille ennuyeuse, certainement athée, probablement lesbienne, détestant la Terre entière, cherche jeune homme pour l’aimer à la folie… 

Lola livre à son amie une idée de génie : Aurore doit faire une fugue !

S’il fallait résumer Le journal d’Aurore selon les propres termes de son auteur, ce serait un ouvrage sans aucun intérêt, au quotidien truffé de détails nuls et sans importance.

Seulement voilà : ce journal est écrit par Marie Desplechin, avec un humour ravageur et une autodérision propre à soulever de page en page l’attention et les sourires ( voire les rires ) du lecteur. Au point que ce dernier est en droit de se demander si ce journal imaginaire et celui de l’auteur ne font pas qu’un ! Parce que le style d’Aurore ( heureusement ) n’est pas vraiment celui d’une ado de Troisième mais d’un auteur de talent.

Marie se cache derrière Aurore comme Emile Ajar ( alias Romain Gary ) se cachait derrière Momo, un narrateur trop jeune pour affirmer que Madame Rosa était une femme qui aurait mérité un ascenseur.

Oui : les réflexions d’Aurore sont d’un pessimisme et d’une maturité propres à toucher moins les ados que les adultes. D’ailleurs, l’ouvrage ( de 560 pages bien tassées ), s’il semble destiné à la jeunesse, n’a même pas été classé en collection Médium. Mais quand on a 15 ans… le Journal d’Aurore ne peut que faire écho !

On peut m’objecter que ce livre est daté ( 2011… autant dire la Préhistoire ). Que de nos jours, on ne reçoit plus de note de dépassement pour des appels sur un téléphone fixe ( vous avez encore un téléphone fixe, vous ? Moi, oui ! ) et que par ailleurs, une fille en 3ème sans smartphone, ça n’existe plus !

Mais le style de Marie Desplechin, lui, n’est pas passé de mode. Et ses fiches de lectures des ouvrages « obligatoires en Seconde » : La Princesse de Clèves, Tristan et Iseut et Roméo et Juliette sont… à mourir de rire !

Un ( faux ) journal intime au style ravageur et indémodable, un modèle d’humour et d’autodérision. Qui ( je rassure le lecteur ) finit bien. Un « journal intime achevé » ? Mais oui. Parce qu’entre l’écriture et la vie, Aurore a finalement choisi. Ce qui l’a décidée, c’est sans doute ( page 532 ) ce « grand frissoj qui m’a traversé le dos de haut en bas. C’était peut-être de l’amour. Ou alors un début de grippe. Difficile à dire »

À recommander à tous les lecteurs ( et… surtout les lectrices ! ) de tous les âges. Et plus particulièrement à celles, sûrement très nombreuses, qui ne se sentent pas très bien dans leur peau ! Le journal d’Aurore les rassurera : il y a de l’espoir !

Lu dans la version intégrale ( il existe trois volumes indépendants ).

Un grand et gros format à la couverture bleue.

Papier et typographie particulièrement agréables.

CG

NE LÂCHE PAS MA MAIN, Michel Bussi, Club France Loisirs

Test

A l’hôtel Alamanda, sur l’île de la Réunion, Liane Bellion monte dans sa chambre à 15H.

A 16H, son mari, Martial, veut l’y rejoindre et constate qu’elle n’y est plus... alors que personne ne l’a vue sortir. Il appelle la police. Entre-temps, Rodin, un Réunionnais rêveur et pêcheur, est assassiné car il semble ( ? ) être témoin d’un rapt

La jeune capitaine Zarabe Aja Purvi arrive et enquête. À l’hôtel, plusieurs employés ont vu Martial monter dans la chambre à 15H15, et en ressortir à15h30, poussant jusqu’au parking un lourd ( et suspect ) chariot de linge... De son côté, le sous-capitaine Christos ( dit Jésus ) constate que des traces de sang, sur les murs de la chambre, appartiennent à Liane Bellion.

Confondu, le meurtrier présumé fuit avec sa fille, la petite Josapha ( dite Sapha, 6 ans ) pour se cacher dans une villa vacante en location...

Après Un avion sans elle et Nymphéas noirs, c’est le troisième roman de Michel Bussi que je lis... sur l’insistance de nombreux amis qui m’affirment, face à mes réserves : Enfin quoi, des romans primés par des dizaines de prix et vendus à des centaines de milliers d’exemplaires, ça n’est sûrement pas sans intérêt ?

Je n’ai jamais dit ça ! J’ai le plus grand respect pour la plupart des auteurs, Michel Bussi y compris ( et même Barbara Cartland, dont certains romans historiques offrent a posteriori des qualités littéraires insoupçonnées ! ), surtout quand ils écrivent avec sincérité.

Ici, à mes yeux ( et une fois de plus ), il me semble que l’auteur n’arrête pas de gagner du temps, de noyer l’intrigue au moyen de descriptions, de dialogues, de scènes vivement menées ( ah... les ébats érotiques de Christos avec sa plantureuse maîtresse ! ) et de cacher au lecteur jusqu’au bout, ou presque, les informations que possède le présumé coupable, Martial.

Une fois sur trois ou quatre, on est dans sa peau et sa tête, même s’il ne dit pas je.

Oui : Michel Bussi utilise ( c’est désormais le cas dans la plupart des romans actuels ), ce qu’on appelle le monologue indirect libre. Or, Martial nous cache quelque chose. Le lecteur le devine – mais l’auteur nous laisse dans le vague, livrant ici ou là une info ou un prénom ( Alex ) nous laissant entendre que Martial a des secrets – un flou artistique qui, évidemment, est la clé de l’intrigue, clé qui nous sera livrée petit à petit, au gré du bon vouloir de l’auteur.

Et ça m’irrite. Car pour ouvrir cette grosse serrure, le lecteur ne dispose d’aucun élément – sauf ceux que l’auteur sortira de son chapeau dans les derniers chapitres…

Un polar, Ne lâche pas ma main ( un titre justifié page… 335 ) ?

Plutôt un magnifique documentaire sur La réunion : ses habitants, son histoire, sa géographie, la faune, la flore, la drogue, le chômage, la circulation, et les termes locaux, dont le roman est truffé, comme si l’auteur voulait nous démontrer qu’il connaît parfaitement les lieux, les rues, les habitudes, le climat... oui, oui, on a compris, vous étiez sur place, cher Michel Bussi, vous vous êtes bien documenté, on s’y croirait, c’est vrai ! Saint Expedit  ( page 271 ) n’échappe même pas à ce catalogue impressionnant.

De chapitre en chapitre, on est ainsi dans la peau et la tête de Rodin, de la jolie capitaine Aja, de son collègue Christos, et même de la petite Josapha, qui porte le prénom de l’aire d’autoroute où elle a été conçue...

Ce qui me gène aussi, c’est la vulgarité du langage de la plupart des personnages ( alors que c’est l’auteur qui s’exprime à leur place ) : il n’en à rien à branler... ça le fait chier... il se prend un coussin dans la gueule. Seule, la petite Sapha y échappe, c’est la seule à dire Je – mais de façon plus littéraire que son âge, sans qu’il y ait chez l’auteur la distanciation du héros de La Machine ( de Belletto ) ou celle du Momo de La vie devant soi ( d’Emile Ajar ).

Michel Bussi, en effet, ne lâche pas la main de son lecteur – mais cette main, multiple ( celle de Martial, de Rodin, de Christos, d’Aja... ) on la sent beaucoup, si j’ose dire.

Et elle me met mal à l’aise, je transpire à force de la tenir.

Si le roman ( 463 pages ) se lit vite, c’est parce que le lecteur ( euh… moi, du moins ! ) juge qu’il y a pas mal de passages dont on pourrait se passer... et de faits que l’auteur tarde à nous livrer. Mais que cet avis personnel ne vous décourage pas de lire Michel Bussi… et vous pousse à me disputer pour la sévérité de mon opinion !

CG

Lundi 25 février 2019

LE DERNIER CATON, Matilde Asensi, Plon

Test

Sœur Ottavia Salina est une paléographe érudite qui travaille aux « archives secrètes du Vatican ». Elle est chargée de découvrir la signification des étranges scarifications religieuses que porte le cadavre d’un Ethiopien. Elle est secondée dans sa quête par le ( rude et suspect ) garde suisse Kaspar Glauser Röist ( dit « Le Roc » ) et le jeune et séduisant copte Farag Bosswell, avec lequel elle va très vite sympathiser.

Comme on lui cache de nombreux éléments concernant la victime, elle va enquêter seule et comprendre que l’Ethiopien avait dérobé des morceaux de la vraie Croix, et faisait partie d’une secte millénaire, les stavrophilakes, dont le poète Dante semble bien avoir été l’un des membres : dans sa Divine Comédie, il évoque en effet à plusieurs reprises les Caton, responsables religieux ( sortes de « papes » ) de cette congrégation secrète. Dans la deuxième partie de son œuvre, Le Purgatoire, figurerait même le mode d’emploi pour y pénétrer – chiche ?

Eh oui : la quête de plus en plus mystique de ces trois détectives va les entraîner plus loin qu’ils ne le pensaient, notamment dans les catacombes de l’église Sainte Lucie de Syracuse, dans la Cloaca Maxima ( les anciens égoûts de Rome ) et à Ravenne… bref, le trio se lance dans un véritable parcours initiatique au fil des sept pêchés capitaux !

Bien sûr, en abordant Le dernier Caton, on se dit que Matilde Asenti a lu et voulu marcher sur les traces du Da Vinci Code de Dan Brown. Ici, La Divine Comédie ( œuvre initiatique ! ) joue d’ailleurs le rôle de la Cène de Léonard de Vinci.

Cependant, à mes yeux, Matilde Asenti va beaucoup plus loin et hisse très nettement le niveau du thriller grâce à une documentation hors pair. Rarement, en effet, j’aurai lu un roman aussi fidèle et précis dans le domaine de la religion, de la géographie et de l’Histoire – notamment celle de la chrétienté.

Sans doute va-t-on me rétorquer : En ce cas, comment expliquer que l’ouvrage de Matilde Asenti ait eu aussi peu d’écho ? 

C’est simple : il est trop savant, trop documenté, sans cesse truffé de détails historiques et de leçons d’histoire à peine déguisées. Si bien ( et c’est l’un des défauts dont on peut accuser cet ouvrage ) que l’abondance de la documentation nuit sans doute au suspense de ce vrai « thriller religieux », du moins pour le grand public.

En effet, il faut attendre la page 200 ( et Le dernier Caton en compte 650 ! ) pour que le lecteur se retrouve plongé dans plusieurs épisodes horrifiques et trépidants dignes d’Indiana Jones !

De plus, le style de l’auteur ( ou/et sa traduction ) frôle parfois l’académisme.

Par ailleurs, les amateurs d’émotions sentimentales ou d’érotisme risquent d’être déçus : avoir comme héroïne une bonne sœur ne laisse guère présager de passages croustillants, encore que la jeune ( et presque quarantenaire ) Ottavia finisse par trouver Farag fort à son goût !

Ce roman reste-t-il tout de même à recommander ? Mais oui, et comment !

Que vous soyez croyant ou non, il vous apprendra mille et un détails sur l’origine du christianisme, l’Eglise, le Vatican – et j’en passe !

Ce récit aurait eu plus d’impact s’il avait eu pour titre Les gardiens de la Croix.

C’est en effet autour d’elle que tourne toute l’action – contemporaine, il faut le répéter !

Dans ma nouvelle L’Epée de la pucelle et mon roman Mort sur le Net, j’ai dû enquêter soigneusement sur l’épée que Jeanne d’Arc a trouvée et abandonnée, à la veille de sa capture par les Bourguignons. Mais Matilde Asenti a fait dix fois, cent fois mieux que moi en enquêtant sur ce qu’est ( ou sur ce que serait ) devenue la Croix depuis la crucifixion.

Ah : contrairement à ce que dit Wikipédia sur son auteur, l’action du Dernier Caton ne se déroule pas du tout au Moyen Age… mais dans l’univers très réaliste du début du XXIe siècle ( l’ouvrage est sorti en 2001 et a été traduit en 2006 )

D’ailleurs, on y côtoie Jean-Paul II à plusieurs reprises… et il y est même question du cardinal Ratzinger – l’auteur ignorait alors qu’il deviendrait Benoît XVI en 2005 !

CG

Lu dans sa version d’origine – mais Gallimard a réédité l’ouvrage en Folio, à moins de 8 euros.

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